Un bébé gâté : il a 2 pères et 2 mères
- assosaintalouarn
- 4 juil.
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Ce jeudi 18 avril 1907, Jean-Marie Bonan, un grand gaillard à qui le travail ne fait pas peur, est anxieux au retour de la foire de Châteaulin. En 1902, il a épousé Marie-Anne Henry, quarante-quatre ans, veuve d’un boucher quimpérois. Jean-Marie, vingt-quatre printemps, ne pouvait refuser une si belle aubaine. Une épouse et un magasin, pour lui, fils d’un enfant trouvé, exposé à l’hospice de Quimper. C’est le pactole et que les mauvaises langues se taisent !

Mariage Jean-Marie Bonan- Marie-Anne Henry
Collection Patrick Stervinou
Pendant toute cette journée, les paysans l’ont trouvé préoccupé et peu enjoué. Il a même refusé de boire la goutte après chaque transaction. Il était hors de question qu’il rentre à la boucherie dans un état second alors que sa femme avait peut-être déjà accouché.
Il y a peu, elle lui a en effet annoncé qu’elle portait dans son ventre un enfant, leur enfant. À quarante-neuf ans, c’est quelque peu surprenant, mais la future mère a tellement donné aux bonnes œuvres et a tant usé ses genoux en prière devant les statues de la cathédrale voisine. Alors, il faut croire aux miracles et Jean-Marie y croit.
Arrivé au 1, rue de la mairie, il ne trouve pas sa femme dans la boutique. Sa belle-mère lui dit de monter et là, Alléluia ! il découvre Marie-Anne qui nage dans des flots de sang, un petit bébé reposant près d’elle dans le lit. Ne voulant sans doute pas déranger, ce bel enfant ne pleure pas. Quel brave petit ! Sa mère qui l’a mis seule au monde, se porte à merveille. Et Jean-Marie pleure de bonheur. L’enfant est son portrait craché. Il a le même teint rouge, les mêmes yeux, le même nez et les mêmes lèvres.
Le lendemain, dans la soirée, après avoir déclaré à la mairie Jean-Laurent Marie Bonan, fils de Jean-Marie et de Marie-Anne Henry, l’heureux père paye à boire jusqu’à plus soif aux habitués des débits de la place Saint-Corentin. Le dimanche suivant, après le baptême de l’enfant-roi, un repas plantureux attend famille et amis, et Mme Bonan, remise de ses émotions, dirige de main de maître le service. Quelle femme !
Le 22 avril, le jeune papa se fait interpeller dans la rue par un nommé Le Saux, un pauvre diable sans emploi, marié à une brave ménagère.
Le Saux : Eh, dites donc, M. Bonan, elle commence à devenir embêtante l’histoire du gosse.
Bonan : L’histoire du gosse, de quel gosse ? Je ne comprends pas.
Le Saux : Comment, de quel gosse ? Elle est bien bonne ! Voyons, vous savez bien, de votre gosse, de mon gosse, de notre gosse, quoi ! La mairie me presse de déclarer mon fils.
Devant un Bonan éberlué, Le Saux lui assène le coup de grâce :
Mais oui, de l’enfant que ma femme a vendu à la vôtre pour deux cents francs.
Abasourdi, le boucher comprend enfin. Celui que sa femme lui a présenté comme le sien, celui qui lui ressemble tant, celui qu’il a été déclarer à la mairie, est l’enfant d’un autre, un enfant acheté. Abandonnant Le Saux à ses lamentations, il se précipite à la boucherie et questionne son épouse. Celle-ci finit par tout lui avouer entre deux sanglots.
Bigote devant l’éternel, la bouchère aime jouer à la dame patronnesse et distribuer des bas morceaux de viande aux miséreux du quartier. C’est ainsi qu’elle fait la connaissance du couple Le Saux qui erre de taudis en taudis. La femme, Marie-Louise Le Scaon, de nouveau enceinte, crie son désarroi à sa bienfaitrice. Va-t-il falloir abandonner son enfant au tour de l’hospice ? Mme Bonan élabore alors un plan diabolique. Pourquoi cet enfant non désiré par les Le Saux ne serait-il pas le sien ?
Avec un mari sur qui le Saint-Esprit n’est pas encore descendu, un litre de sang de bœuf et des voisins peu curieux, l’affaire est rondement menée. Mais, à Quimper comme ailleurs, les mystères sont vite pénétrés et les langues, surtout les mauvaises, se mettent en action. Où est passé le petit Le Saux, et ce nouveau-né chez les Bonan, est-il descendu du ciel ? Mme Piton, la sage-femme, a vent de la chose. Pourquoi cet enfant Le Saux qu’elle a mis au monde rue Royale n’a-t-il pas été déclaré à la mairie ?

Rue Royale (actuelle rue Élie Fréron) Jean Caveng
(Page facebook : rétrospective des œuvres de Jean Caveng)
Jean-Laurent est rendu à ses parents qui ne tuent pas le veau gras au retour de l’enfant prodigue. Furieux, Le Saux dit qu’il ne rendra pas les deux cents francs. Et d’ailleurs, quels deux cents francs ? Il déclare qu’il ne les a jamais reçus. Il réclame même le paiement des frais de nourrice pour élever l’enfant qui porte toujours le nom de Bonan, le temps que la justice modifie l’acte d’état civil.
Mais la justice se presse lentement et il faut attendre le 12 août 1909, soit plus de deux ans après les faits, pour que le tribunal civil de Quimper déclare que Jean-Laurent est le fils de Pierre-Marie Le Saux et de Marie-Louise Le Scaon.

Acte de baptême du 21 avril 1907, rectifié après la décision de justice.
Les noms des faux parents ont été barrés, mais ils n’ont pas été remplacés par ceux des parents légitimes. (Archives diocésaines)
L’affaire est classée sans suite par le procureur. Marie-Anne Bonan va vivre jusqu’à soixante-quinze ans. Sera-t-elle pardonnée d’avoir menti non seulement aux hommes, mais aussi à Dieu ? Son époux meurt dès 1909 à trente-et-un ans, preuve que le ridicule tue. Mais le commissaire Judic, fin limier, pense que Bonan est l’instigateur de cette criminelle supercherie.
Marie-Louise Le Scaon, femme Le Saux, a terminé une existence bien triste en 1918 à l’hospice, et son époux s’est vite remarié.
Quant à leur fils Jean-Laurent, héros bien malgré lui de cette histoire, c’est à Paris qu’il a épousé Marie Morin le 11 mars 1939. Il y est décédé le 13 avril 1971. Je ne connais rien de sa vie, mais en 1907, ʺLe Réveil du Finistèreʺ s’est amusé à imaginer sa comparution au jour du jugement dernier.
À l’appel de son nom, Le Saux répond présent. En raison de son existence d’impie blasphématoire, il est damné et placé à la gauche de Dieu. Lorsque le séraphin appelle Bonan, Le Saux répond également présent. L’ange se fâche : Quelle est cette plaisanterie ? Oseriez-vous soutenir que vous êtes deux personnes en un seul homme. Ne vous moquez pas de la Sainte-Trinité où cela pourrait vous coûter cher. L’infortuné tente d’expliquer son histoire, mais d’une façon tellement incohérente que les milliards d’humains présents se tiennent à force de rire toutes leurs côtes, sauf Adam auquel il en manque une.
Pauvre innocent, murmure la Vierge.
Alors, Dieu le Père le fait approcher de son trône : Mon enfant, vous avez là une bien jolie histoire que vous allez me raconter pendant toute l’éternité. Asseyez-vous à ma droite, vous êtes sauvé.
La mésaventure de Jean-Laurent Le Saux-Bonan a amusé Dieu. Et vous ?
Si vous souhaitez lire l’intégralité de cette histoire : Le Lien (journal du Centre généalogique du Finistère) de décembre 2022
Ou sur le site histoire.genealogie.com : https://www.histoire-genealogie.com/A-Quimper-en-1907-deux-peres-et-deux-meres-pour-le-meme-bebe
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Une histoire sûrement plus fréquente que l'on pensait... et tellement bien racontée !
Excellente histoire, bien racontée, comme toujours avec vous. Mais comment Jean-Marie Bonan a t-il pu gober l'histoire ?
Il est vrai que je connais l'histoire, vieille d'une quarantaine d'année d'un homme qui a très logiquement déclaré et reconnu l'enfant mis au monde par son épouse, qu'il ne regardait même plus depuis qu'il s'était fait une place bien assise socialement, de médecin. Sa femme avait arrêté ses études d'infirmière pour travailler afin de permettre les études du mari, le début dans la vie du jeune couple. Oui, mais là, elle n'était plus à la hauteur de la situation... Il s'est trouvé qu'à un mariage de mes connaissances, où le couple était invité, l'ennuyeuse et fade épouse a plu, ou convenu…
Bonjour Pierrick,
je crois qu'il y a erreur d'illustration : c'est l'acte de naissance, pas de baptême, et rien n'est barré.
Christian.