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Robert et Jules au paradis terrestre

  • assosaintalouarn
  • 20 juin
  • 4 min de lecture

 


 Après avoir écrit deux livres sur la guerre au début du XXe siècle entre les blancs et les rouges, les cléricaux et les laïques, je suis arrivé à la conclusion que cette lutte fut stérile et ridicule. Les torts et les outrances étaient partagés et on en rirait aujourd’hui si notre pauvre monde n’était de nouveau si déchiré…


Je vous raconte ici deux exemples parmi tant d’autres :


Ce matin de septembre 1909, Joseph Piriou, vicaire de la cathédrale de Quimper, est de mauvaise humeur. Après avoir dit la messe et confessé quelques vieilles pécheresses, il s’est retiré dans sa chambre pour étudier et écrire, sa tabatière à portée de main. Faisant suite à la lettre des cardinaux, archevêques et évêques de France au sujet des droits et des devoirs des parents à propos de l’école, Mgr Duparc a autorisé l’abbé Piriou à publier une lettre d’information que celui-ci a appelée « Alerte ». Ce nom est choisi pour dénoncer les livres de classe qui, selon l’Église, veulent extirper de l’âme des élèves tout sentiment religieux. N’allez pas croire que ce nouveau périodique paraissant aussi souvent qu’il sera possible est distribué dans chaque foyer chrétien du diocèse. D’abord écrits à la main, puis tapés à la machine et enfin en 1910 imprimés, les articles du vicaire Piriou, assisté de deux autres prêtres, sont lus par un petit public déjà convaincu.


Archives départementales du Finistère JAL 13/1
Archives départementales du Finistère JAL 13/1

      

L’heure est grave depuis que Gaston Doumergue, ministre de l’Instruction publique et fervent partisan de l'école laïque, a déclenché une violente polémique en déposant en juin 1908 deux projets de « défense laïque » visant à punir les familles qui empêchent leurs enfants de suivre un enseignement, même anticatholique.


En réponse, l’Église a déclaré la guerre aux instituteurs qui se servent de mauvais livres. Qui dit mauvais livres, dit mauvais enseignants. Des associations de pères de famille, créées dans de nombreuses paroisses, ont pour mission de dénoncer les mauvais pédagogues de « l’école sans Dieu » et de changer leurs enfants d’établissement, sous peine d’excommunication. Si le père ne remplit pas son devoir, c’est à la mère de famille d’agir à sa place. 


L’Église condamne quatorze manuels en usage dans les écoles primaires : cinq d’instruction civique et de morale, deux de lecture et sept d’histoire. À Quimper, dans les deux écoles libres de filles et dans celle de garçons, les maîtres se contentent de retirer les ouvrages qui sont mis à l’index. Dans d’autres villes, ceux-ci sont brûlés sur la place de l’église. Des autodafés qui rappellent les périodes sombres de l’Inquisition !


Heureusement, l’abbé Piriou est moins excité. Après avoir épluché deux éditions d’un manuel de lecture dont, malheureusement, il ne précise pas le nom, il se contente de publier dans un supplément de son journal « Alerte » des dessins quelque peu naïfs. Les légendes sont surprenantes :


Ainsi, écrit-il, en 1905, pour apprendre aux petits à émettre le son oi, on leur met sous les yeux une croix chrétienne. En 1908, cette croix, considérée comme contraire à la neutralité, est remplacée par une croix donnée en récompense aux bons élèves.

Un autre exemple : en 1905, pour apprendre aux enfants à émettre le son S, on leur met sous les yeux deux gardes suisses. En 1908, jugés pas assez neutres, ils sont remplacés par deux tasses.

M. Piriou en conclut que la neutralité prônée par les anticléricaux aboutit à des absurdités. On ne peut lui donner tort !


Archives départementales du Finistère JAL 13/1
Archives départementales du Finistère JAL 13/1

L’abbé a sûrement fait son miel d’un article à charge paru en mai 1907 dans le journal clérical « L’Indépendant du Sud-Finistère ». Le journaliste a épluché la nouvelle version du livre de grammaire de messieurs Larive et Fleury, dont la première édition remonte à 1872.


Les modifications apportées pour laïciser le manuel scolaire ont de quoi surprendre. Jugez plutôt :


La cloche de l’église devient la cloche de l’école.

Les marches de l’autel laissent la place aux marches de l’escalier.

Donnez-nous notre pain quotidien devient Le père gagne le pain de chaque jour.

Le bon pasteur qui donne sa vie pour ses brebis devient le père qui a sacrifié sa vie pour ses enfants.

Le Dieu qui a créé le monde cède la place au soleil qui éclaire la terre.

Être pieux, c'est à présent être laborieux.

Le bedeau qui sonne les cloches devient l'officier qui commande l'exercice.

Et cerise sur le gâteau : Adam et Ève sont devenus Robert et… Jules !

Mais alors, lequel des deux a croqué en premier le fruit défendu ? Qui croire désormais ?


L’article critique également les corrections apportées aux livres de lecture pour les petits enfants afin qu’ils n’entendent plus parler de Dieu.

On ne sait ce qu'il faut le plus admirer dans la circonstance, de l'audace des francs-maçons ou de la stupidité des catholiques qui assistent impassibles à la destruction de tout ce qui a fait la grandeur de la France dans les siècles passés.

 

Bien plus tard, lorsque les tensions se sont apaisées, le livre des sieurs Larive et Fleury a-t-il été de nouveau modifié ? Je l’ignore, mais le manuel de grammaire Bled utilisé à mon époque m’a évité de recevoir une correction mémorable. En effet, je n’ose imaginer la colère de ma mère si je lui avais demandé des détails sur Robert et Jules.



Le vendredi 4 juillet, je donnerai une conférence à 18 heures à QUIMPERLÉ, ancien hôpital Frémeur

 

 

 

 

 

 

 
 
 

4 Comments


Magdeleine Fougeray Le Brun
Magdeleine Fougeray Le Brun
Jun 21

Est-ce-trop osé de faire un parallèle avec ceux qui, aujourd'hui, veulent "genrer" ou "dé-genrer" les manuels scolaires ?

Si nous pouvions anticiper le regard qu'auront nos descendants sur le sujet!...

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Caro K.
Caro K.
Jun 20

On sent vraiment l'énorme rejet de la religion. Le début de l'application de la loi de séparation de l'église et de l'état. Merci pour cet article très bien fait.

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colette.boulard
Jun 20

Excellent, à peine croyable ! Mais quelle idée ont eu les "correcteurs" de remplacer Eve par Jules ? Il fallait être sacrément (oupps !) misogyne pour préférer marier Robert à un Jules. Et un peu couillon pour ne pas voir comment ce pouvait être lu. quoique...

Pour moi, qui ai ri, et vous, Pierrick, qui l'avez provoqué, ce sera deux Pater et trois Ave. Idem pour les lecteurs, ah mais !

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assosaintalouarn
Jun 20
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Merci Colette. non seulement j'ai écrit ,mais j'ai beaucoup pensé à ce que j'aurais pu écrire. J'ai fauté par pensée, par action et par omission, et en punition j'irai faire à genoux le tour de l'église de Plomelin

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