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Buffalo Bill et les Indiens à Plomelin

  • assosaintalouarn
  • 7 nov.
  • 4 min de lecture

 

Madame Le Vavasseur a insisté pour accompagner à Plomelin son percepteur de mari à qui incombe la lourde charge d’inventorier l’église Saint-Mellon, suite à la loi de séparation des Églises et de l’État votée en décembre 1905. Comme cela s’est plutôt mal passé les jours précédents dans d’autres communes, Le Vavasseur a tenté de dissuader son épouse. Mais non, rien n’y a fait ! Ses amis quimpérois lui ont vanté les charmes de ce petit village boisé, de ses paysans qui obéissent au doigt et à l’œil au recteur et aux châtelains établis sur les bords de l’Odet.  

 

Ce lundi 12 mars 1906, accompagné de deux gendarmes seulement (inutile d’effrayer ces braves gens avec un détachement plus important), le couple arrive au bourg, alors que le tocsin retentit. Le percepteur descend de la voiture, se dirige vers l’église où l’attendent Étienne Roussin, maire, les marguilliers[i] et Aristide Braouzec, le recteur. Celui-ci dit s’opposer à l’inventaire de cette église qui, affirme-t-il, appartient aux fidèles qui ont financé sa construction en 1893. Les portes de l’édifice sont closes et elles le resteront. Passez votre chemin, monsieur le persécuteur ! Le fonctionnaire tente de parlementer, mais à quoi bon discuter avec des cléricaux aussi bornés ? Et puis, proche de la soixantaine, il ne va pas risquer d’attraper un mauvais coup. Courageux certes, mais pas téméraire !  Alors qu’il dresse un procès-verbal de carence, une foule estimée à près de deux cents paysans s’approche du véhicule de l’intrus. Les plus acharnés commencent même à couper les rênes du cheval.

 

Madame, qui est restée dans la voiture, ouvre la portière et, sans se démonter, demande à ces gens ce qu’ils veulent. Surpris de voir une dame, ils reculent provisoirement. Mais dès que le mari intime l’ordre au cocher de quitter au plus vite ce lieu inhospitalier, une véritable grêle de pierres s’abat sur la capote du char de l’état, transpercée par les parapluies des paysannes, encore plus excitées que leurs maris. Les roues arrière du carrosse sont soulevées, l’habitacle tangue dangereusement, puis peine à partir sous les huées. Pour lui ouvrir la route, l’un des gendarmes sort son revolver. On n’ose imaginer ce qui se serait passé s’il avait tiré dans la foule qui a encore grossi.

 

Selon "L’Action libérale", journal clérical, le cocher affolé descend de son siège pour tenter d’amadouer les excités. Le cheval, qui tient à regagner sain et sauf l’écurie, continue sa route et met la voiture dans le fossé. C’est la panique chez le couple Le Vavasseur. Un des gendarmes qui a renversé une manifestante ne doit son salut qu’à sa fuite.

 

La voiture rentre à Quimper dans un piteux état. Que dire de ses occupants ? La main de Monsieur tremble encore quand il rédige son rapport. L’hebdomadaire républicain "Le Réveil du Finistère" consacre un article au vitriol contre les paysans plomelinois. Le percepteur aurait raconté que ses agresseurs avaient à peine figure humaine. De leurs bouches sortaient de véritables cris de bêtes fauves et on se serait cru chez Buffalo Bill et ses indiens.


 

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Madame, qui a sans doute dû garder la chambre quelques jours, se serait, paraît-il, offusquée de voir la comtesse de Kerallain et son fils au premier rang des manifestants. Quelle honte ! Des gens avec qui le couple entretenait des relations cordiales. Toute comtesse qu’elle soit, la porte des Le Vavasseur lui sera désormais fermée.

 

Le 23 novembre de la même année, trente gendarmes à cheval, quarante chasseurs et une compagnie du 118e régiment d’infanterie arrivent à l’aube devant l’église Saint-Mellon qu’ils cernent. Le commissaire Judic et le percepteur Cabanis (Le Vavasseur s’est-il fait porter pâle ?) laissent le recteur finir sa messe. L’office terminé, les rares fidèles sortis, le prêtre ferme la porte et refuse d’en donner la clé aux envahisseurs. Certes, Monseigneur a donné des consignes d’apaisement, mais il n’est pas question de laisser cette église presque neuve aux mains d’un État qui a édicté des lois scélérates. Qu’à cela ne tienne ! La lourde porte principale résiste un temps, mais elle est vite abattue et l’inventaire peut commencer dans l’église et la sacristie.

 

Sur la place, rares sont les habitants qui manifestent leur colère. Plutôt du désarroi, et les impressionnantes forces de l’ordre présentes leur enlèvent tout désir de renouveler leur action d‘éclat du mois de mars.

 

Les intrus partis, le village retrouve son calme et les fidèles entrés dans l’église chantent avec foi et conviction le Parce domine. Des hommes se retrouvent ensuite dans le cabaret d’Yves Larhant et rient à gorge déployée du bon tour qu’ils ont joué le 12 mars 1906 à la république des francs-maçons.

Aujourd’hui, l’on me dit que certains Plomelinois en rient encore.

J’oubliais : depuis plus de quarante-six ans, j’habite cette belle commune.


[i] Marguillier : membre du conseil de fabrique d’une paroisse.


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4 commentaires


nogrel.charlie
il y a un jour

Malgré des années de séjours de vacances à Loctudy, les écrits de Pierrick me font saisir que je suis passé "à côté" d'un territoire d'une richesse historique insoupçonnée !! 😃👍

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Magdeleine Fougeray Le Brun
Magdeleine Fougeray Le Brun
il y a 5 jours

Sans vos récits plus savoureux les uns que les autres, je ne me serais pas doutée que notre terroir quimpérois fut aussi mouvementé et riche en épisodes savoureux et parfois croquignolesques.

Jolie découverte, comme le souligne Colette Boulard, que ce chant grégorien.

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colette.boulard
08 nov.

Est-ce la volonté de "sa blonde" qui en était alors bien une, ou votre riche imagination qui a conduit le percepteur, dans son rôle officiel, à accepter d'être accompagné par elle lors d'un acte des plus délicat ? En attendant, vous m'avez fait découvrir le "Parce domine" que je ne connaissais pas, et c'est une magnifique pièce musicale. Merci à vous et aux vidéos sur internet.

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assosaintalouarn
08 nov.
En réponse à

Voyons Colette. Vous savez bien que je ne raconte que la vérité vraie . Je me suis fié aux écrits du journal anticlérical et cela m'a bien arrangé pour aborder le sujet. .

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