Un beau crêpage de chignons
- assosaintalouarn
- il y a 3 jours
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Dernière mise à jour : il y a 1 jour
Lundi 6 octobre 1941. Devant le tribunal civil de Quimper, trois femmes comparaissent, inculpées de coups et blessures.
J’ai bien connu la première : Mathilde Chuto, 44 ans, femme de Corentin Cornic, cultivatrice à Kerivoal (Kerfeunteun). Née à Guengat, sans enfants. Le commissaire de police indique qu’elle jouit de très bons renseignements, qu’elle se trouve dans une bonne situation financière et qu’elle est sobre.
Elle est défendue par Me Le Bastard.
Anna Le Reste, 25 ans, femme d’Hervé Goaer. Née à Ergué-Gabéric, deux jeunes enfants qu’elle élève seule, le mari étant prisonnier en Allemagne. Garde-barrière, elle habite la maisonnette de Kerivoal et sa situation pécuniaire est assez modeste. Elle est sobre.
Marie-Jeanne Hémery, 50 ans, femme de Jean Bourhis, demeurant à Penhars. Née à Elliant, sans enfants. Femme de ménage. Son mari est pensionné et elle se trouve dans une situation pécuniaire qui la met à l’abri du besoin.
Les deux femmes sont assistées par Me Alizon.
Le juge Le Bourdellès, président d’audience, soupire. En cette période troublée, n’y a-t-il pas plus important que de juger une histoire de crêpage de chignons entre trois mégères ? En raison de l’absence de plusieurs magistrats retenus contre leur gré en Allemagne, il a déjà dû faire appel au doyen des avocats, Me Bigot d’Engente, pour suppléer un juge empêché.
S’avançant la première à la barre, Mathilde raconte la vérité, sa vérité. Le 13 août, vers 22 h 15, elle s’est rendue en compagnie d’Henriette, sa jeune domestique, et de son neveu Guy, jusqu’au champ nommé Parc Menez. La veille, plusieurs kilos de pommes de terre se sont volatilisés comme par magie pour le plus grand bénéfice de voleurs qui, en cette période de vaches maigres, pillent les récoltes d’honnêtes cultivateurs. Excédé par un nombre croissant de vols, Corentin Cornic, un petit bonhomme au caractère bien tranché, a fait paraître une annonce dans les journaux, menaçant des pires représailles ceux qui oseraient passer sur ses terres pour lui dérober les précieux tubercules. Il faut déjà nourrir l’occupant et cela suffit.
Mais revenons à notre histoire de patates, car monsieur le président commence à s’impatienter. Mathilde, apercevant dans le champ deux femmes accroupies et porteuses de sacs en serpillière, voit rouge et court vers elles. Les intruses se sauvent en direction du château de Kérivoal, voisin de la ferme des Cornic. Les ayant rejointes, Mathilde leur ordonne de montrer ce qu’elles ont dans leur sac. C’est qu’elle n’est pas commode, la Mathilde ! L’une des femmes, une voisine dénommée Goaer, ouvre avec réticence son sac qui ne contient que du trèfle et du ray-grass. L’autre supposée voleuse refuse d’obtempérer et attrape son adversaire par les cheveux. Tombée à terre, Mathilde est frappée par les deux furies qui n’hésitent pas à lui donner des coups de pied. Affolé, le jeune Guy court chercher son oncle Corentin. Lorsque celui-ci arrive sur les lieux de l’agression, les deux femmes sont déjà parties. Il ne reste plus à l’agressée qu’à porter plainte pour coups et blessures et à se faire examiner par le docteur Olgiati. Le praticien quimpérois lui prescrit un repos de dix jours.

Aux gendarmes, Guy Cornic, 8 ans, a donné la même version des faits. Henriette Guéguen, 14 ans, domestique de ferme, partie en haut du champ pour voir s’il n’y avait pas d’autres voleurs, n’a pas vu sa maîtresse à terre, mais elle a reconnu Mme Goaer, la garde-barrière.
C’est maintenant au tour de cette dernière de raconter sous serment ce qui s’est, selon elle, vraiment passé. Comme il faut bien nourrir ses lapins qu’elle vend un bon prix aux citadins affamés et qu’elle n’a pas de terre, elle va presque tous les soirs dans les fermes des alentours pour ramasser de l’herbe, mais jamais, au grand jamais, elle n’a volé des pommes de terre. Le fameux soir, elle ne s’est même pas rendue dans le champ des Cornic, mais dans la garenne de Kerdaniel, en compagnie de Marie-Jeanne Bourhis, sa cousine.
En repartant par le parc du château, les deux femmes voient avec surprise la femme Cornic se précipiter vers elles et, d’un ton menaçant, les accuser de voler ses pommes de terre. Anna Goaer lui dit : Ce que j’ai dans mon sac ne vient pas de chez vous. Ne la croyant pas, Mathilde lui arrache ledit sac dont elle déchire le fond. Constatant qu’il ne contient que de l’herbe, elle apostrophe la femme Bourhis qui, elle, ne se laisse pas faire. Mathilde, la prenant par les cheveux, la jette à terre. C’est alors que Anna Goaer vient au secours de sa cousine et tire sur le chignon de la cultivatrice. Folle furieuse, celle-ci s’en va après les avoir traitées de femmes saoules et voleuses.
C’en est trop pour la garde-barrière qui, non seulement porte également plainte pour coups et blessures, mais affirme que la veille de la bagarre, elle a vu un groupe de quatre hommes traverser la voie ferrée et se diriger vers Quimper. L’un portait un grand sac sur son épaule. Celui-ci semblait contenir des pommes de terre et avait de la terre humide collée à son fond.
Marie-Jeanne Bourhis donne une version similaire de l’échauffourée : Madame Cornic nous a interpellées de façon malhonnête et elle n’avait pas à nous brutaliser. Je porte plainte pour diffamation et violence, et je vous conseille de demander aux gens du château ce qu’ils ont vu.

Mariage de Corentin Cornic (31 A) et Mathilde Chuto (23 A)
Appelés comme témoins, ceux-ci sont prudents, car ils ne souhaitent sans doute pas se fâcher avec leurs voisins Cornic. Marie-Louise Deshaies était couchée quand elle a entendu des cris et, s’étant levée, elle n’a vu que quelques ombres dans le parc. Dans la salle à manger, Jean Le Guen a interrompu sa lecture pour aller à la fenêtre. J’ai aperçu trois femmes sur le gazon du parc, mais je n’ai reconnu aucune de ces femmes. J’ai vu l’une tomber à terre, bousculée par une autre qui semblait vouloir la frapper. Dans le bruit de la dispute, j’ai entendu l’une d’elles crier « voleuse » à plusieurs reprises.
Me Le Bastard, conseil de Mathilde Cornic, insiste sur la mauvaise réputation de la femme Bourhis, connue pour son mauvais caractère et sa réputation de chapardeuse. Elle a dû entraîner sa cousine qui a besoin d’argent.
Me Alizon, avocat des deux autres femmes, défend généralement des causes plus dignes d’intérêt et il doit se demander ce qu’il fait dans cette galère.
Après une rapide délibération, le tribunal constate que, faute de témoins, rien n’établit que les deux femmes ont pénétré dans le champ des Cornic.
Même si l’attitude agressive de Mme Cornic peut s’expliquer par les nombreux larcins dont elle est victime, elle n’aurait pas dû accuser ainsi sans preuve ses deux coprévenues.
Le certificat médical produit par la dame Cornic révèle le caractère bénin et en grande partie superficiel des violences dont elle aurait été victime.
De plus, comme les juges ne peuvent établir la part active prise par chacune d’elles et que les faits apparaissent insuffisamment caractérisés, le tribunal relaxe les trois femmes.
Affaire suivante, annonce un président épuisé, espérant sans doute qu’elle ne sera pas une énième affaire de crêpage de chignons. La guerre n’adoucit pas les caractères !
Pendant l'occupation, mon père étant prisonnier en Allemagne, ma mère passait souvent devant la maisonnette d’Anna Goaer, garde-barrière, pour aller se ravitailler chez la cousine Mathilde Chuto, femme Cornic. Connaissait-elle cette histoire ?
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