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Le buste du Sacré-Cœur ressemble-t-il à un monstre antédiluvien ?


Dimanche 18 juin 1905. Landudec, commune rurale située en pays bigouden, 1522 habitants.


Après avoir assisté aux vêpres, ils sont plus de deux cents fidèles à attendre patiemment devant le presbytère. François Ségalen, recteur, en sort, suivi par messieurs Marzin, maire, Kerloc’h, adjoint, Gentric et Le Brun, conseillers municipaux. Les quatre hommes portent une civière sur laquelle se trouve un buste représentant le Christ qui entrouvre sa poitrine pour laisser voir un cœur enflammé. 


Le dimanche précédent, à la veille d’une mission paroissiale de deux semaines, le recteur a annoncé en chaire que, suivant la décision unanime du conseil municipal, la commune serait le dimanche suivant consacrée au Sacré-Cœur. Aussitôt, les bonnes âmes de la paroisse se sont empressées d’aller solliciter de généreux donateurs pour faire l’acquisition d’un superbe buste.


L’émotion est à son comble lorsque le cortège s’ébranle, suivi par des bannières et quelques croix. À son passage, derrière leurs fenêtres, des républicains fulminent. Dans cette commune cléricale, certains disent même réactionnaire, les partisans de Georges Le Bail, le député radical socialiste et anticlérical, sont peu nombreux. À leur tête, se trouve Pierre Stéphan, l’instituteur adjoint.


En chantant, la foule arrive devant la mairie ou plutôt l’école des garçons dont la municipalité occupe une pièce et c’est là que se produit un événement inédit qui va faire couler beaucoup d’encre. Dans la salle exiguë où se réunissent les conseillers municipaux trône la République sous les traits de Marianne. Disons plutôt trônait, car le maire l’enlève et la remplace aussitôt par le buste du Christ, le divin sauveur qui va désormais présider les délibérations.



Le buste du Christ. Il entrouvre sa poitrine pour laisser voir son cœur enflammé
Le buste du Christ. Il entrouvre sa poitrine pour laisser voir son cœur enflammé


Après cette belle journée, les paroissiens, libres, sans dépendance au gouvernement, se retrouvent à l’église où tous communient.


Le 1er juillet, "Le Réveil du Finistère", journal socialiste violemment anticlérical, publie un article ironique, sans doute dicté par les sieurs Stéphan, instituteur, et Le Berre, boulanger.

La cérémonie du 18 juin est qualifiée de grotesque. Heureuse, la commune qui est assurée d’une aussi puissante protection. Tous ses habitants goûteront désormais une félicité sans mélange. Aussi, tous sont dans la joie, même ceux qui, il y a quelques jours encore, se demandaient si le maire avait le droit de les vouer, eux et leurs familles, leurs champs et leurs bestiaux, à une idole quelconque sans même les consulter.


Cette affaire embarrasse Henri Collignon, préfet du Finistère. Début août, le commissaire spécial Rouquier envoyé à Landudec confirme les faits, mais il faut attendre le mois d’octobre pour que le préfet se décide à intervenir. De retour à Landudec, en discutant avec M. Boennec, instituteur et secrétaire de mairie, le policier apprend que le maire Marzin a vraisemblablement été poussé à la faute par son adjoint Kerloc’h, aidé par le recteur, dans le but de le faire révoquer et de le remplacer. Mais cette tactique machiavélique n’est peut-être qu’une rumeur lancée par les ennemis de la cure ?


L’édile sait-il que l’on raconte dans le bourg que son second veut être calife à la place du calife ? Sommé d’enlever ou de faire enlever le buste dans un délai de quarante-huit heures, il déclare au représentant du préfet qu’il n’a fait que se conformer aux désirs de son conseil. Il ajoute : Tant que je serai maire, le buste restera où il est et je préfère être révoqué plutôt que de l’enlever. J’ai le droit de placer dans la mairie les emblèmes que je juge convenables. Il aurait reçu l’appui de M. de Chamaillard, sénateur d’opposition.


Dans son numéro du 20 octobre, le journal "L’Action" qui, en manchette, indique ses convictions anticléricales, républicaines et socialistes, s’indigne. Malgré les faits qui sont établis, le maire de Landudec n’est pas encore révoqué, ni même suspendu.  Dans le Finistère, les maires réactionnaires peuvent tout à leur aise cordicoliser (en rapport avec le culte du Sacré-Cœur) en masse leurs administrés. Le préfet Collignon les laisse faire, quand il ne les encourage pas. Et les républicains de la commune n’en reviennent pas encore d’avoir vu la population, les conseillers et le curé de l’endroit, armé de son goupillon et marmonnant ses orémus, conduire le divin viscère au fond de la salle des délibérations, planant au-dessus du maire comme un sinistre symbole. Le journaliste parisien conclut : Que pense de cela le gouvernement et qu’attend-il pour agir ? 


Le 11 novembre 1905, ledit gouvernement révoque Jean-Marie Marzin. Le conseil de fabrique décide que, pour éviter de faire le jeu des ennemis du Sacré-Cœur, M. Kerloc’h, adjoint, va retirer la statue de la mairie et la placer au presbytère.


En réparation de l’injure faite à Dieu, le recteur, décide l’érection d’une statue en bronze du divin rédempteur. Érigée sur une hauteur qui domine le bourg, la statue est bénie par Mgr Dubillard le 4 mars 1906. La Semaine religieuse précise que la grand-messe a été chantée par l’abbé Marzin, fils du maire odieusement révoqué. Selon l’organe officiel de l’évêché, on n’avait vu de temps immémorial à Landudec une affluence aussi nombreuse et recueillie.



Statue du Christ  en bronze
Statue du Christ en bronze

C’est un autre son de cloche pour les abonnés du "Réveil du Finistère" qui peuvent lire que cette manifestation reflète bien le fétichisme en Bretagne. Comme à cette époque les journaux de tout bord ne s’interdisent aucune outrance, le journaliste anticlérical écrit que cette hideuse statue ressemble à un monstre antédiluvien d’une époque aujourd’hui révolue.


Entre temps, la loi de séparation des Églises et de l’État a été votée et, le 8 mars, ce sont d’autres "monstres" que voient surgir les cinq cents paroissiens massés devant les portes de leur église pour empêcher les forces de l’ordre d’en faire l’inventaire.


Pour conclure, un petit détail piquant : si Henri Kerloc’h a vraiment voulu la chute du maire Marzin, il a été puni car, devenu calife à son tour, il a également été révoqué pour n’avoir pas interdit le 24 avril des violences inadmissibles lors de la visite électorale du candidat Le Bail. Ivre-mort, il aurait même encouragé les opposants du député radical-socialiste.


Si vous appréciez ces articles, je pense que vous aimerez assister à la CONFERENCE-DIAPORAMA que je donne le dimanche 9 février à 16 heures

à PLOMELIN. Espace Kerné

La croisade de Mgr Duparc contre les danses kof ha kof

(ventre à ventre)

en présence de Jean-Marie Misslen, illustrateur de mon livre.

GRATUIT. Pot de l'amitié à la fin de la conférence.

  




 

 

8 Comments


Marie-Eve VERGOZ
Marie-Eve VERGOZ
Jan 26

Merci encore - des récits, témoins de leur époque avec une pointe de piment et qui racontent une vie d'alors insoupçonnable gouvernée par les travers humains - merci encore

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gisele.gentric
Jan 26

Récit enlevé et amusant. Les luttes entre "blancs" et "rouges" ont été épiques en pays bigouden

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Magdeleine Fougeray Le Brun
Magdeleine Fougeray Le Brun
Jan 25

Episode savoureux.

Où l'on retrouve l'inévitable Georges Le Bail. Actuellement il s'insurgerait contre la présence des crèches au moment de Noël... "La Libre Pensée" s'en charge.

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Jean-Christophe Guéguen
Jean-Christophe Guéguen
Jan 25

Toujours aussi savoureux. Maintenant on se bat, moins violemment, pour ou contre des crèches dans des bâtiments municipaux.

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patates_douces
Jan 24

Merci pour vos chroniques, toutes plus savoureuses les unes que les autres. On ne devait pas s'ennuyer en Bretagne à l'époque !

Annick Egels😀

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