Résumé de l'article précédent : Dans la nuit du 9 au 10 janvier 1938, Giovanni Pinotti, condamné à cinq ans de prison, s’est évadé de la prison de Mesgloaguen à Quimper. Il s’est ensuite caché pendant trois jours dans les combles du palais de justice.

C'est dans les combles du palais de justice que Pinotti s'est caché
Comme il doit trouver le temps bien long, notre homme se décide à prendre l’air le jeudi 13 en soirée. Il a de l’argent (sans doute récupéré chez le complice d’un précédent cambriolage) et un culot incroyable. Son signalement ayant été communiqué, il lui faut changer de vêtements. Rue du Chapeau Rouge, il achète un trench-coat gris clair qu’il paye avec un billet de cinq cents francs, puis, dans la même rue, une casquette sport grise. Monsieur a du goût et les deux commerçants ne doivent pas lire le journal. Fâcheuse erreur ! Alors qu’il fait l’acquisition rue Kéréon d’une bande Velpeau (sans doute pour calmer les douleurs à la suite de son saut de huit mètres), l’employé le reconnaît, mais attend qu’il soit loin pour prévenir le pharmacien.
Notre homme a très mal aux pieds, car, ayant quitté ״la villa‶ de Mesgloaguen les pieds nus, il a trouvé depuis une paire de sabots qui est trop petite. C’est en boitant qu’il passe devant le commissariat de police, puis devant la cathédrale où il devrait aller se confesser et implorer le pardon divin pour ses mauvaises actions. Mais sans foi ni loi, il préfère acheter chez un cordonnier de la rue du Frout une paire de chaussures jaunes et des chaussettes grises. Lorsque Pinotti paye ses emplettes, le commerçant remarque que ce touriste à l’accent chantant a un pouce en moins, comme il est précisé dans le signalement. Il va prévenir les policiers, tandis que, courageusement, sa nièce prend le malfaiteur en filature.
Prévenu, un agent en faction devant le Café de Bretagne suit l’homme au trench-coat, mais à une distance raisonnable. Il le voit s’engager dans les allées de Locmaria et soudainement, sauter dans l’Odet. Il fait nuit noire, les pluies ont grossi la rivière et le courant est fort.

Des allées de Locmaria bien calmes avant que Pinotti ne s'y engage
Pinotti lutte un temps, puis disparaît. S’est-il noyé ? A-t-il réussi à rejoindre l’autre berge et à se cacher de nouveau ? Toute la nuit, les policiers et les gendarmes fouillent sans résultat toutes les cours et les maisons des alentours. Si l’Italien est encore en vie, il s’est peut-être réfugié dans l’une des nombreuses roulottes de romanichels qui sont dans la banlieue de Quimper. Bien téméraire, le policier qui osera s’y aventurer !
Le nouveau signalement du fugitif est communiqué : trench-coat neuf gris clair, casquette sport même couleur, pantalon marron foncé tirant sur le rouge, souliers jaune foncé, chaussettes grises, chandail foncé avec col montant. Un vrai gentleman jusque dans les détails ! il est précisé qu’il porte un caleçon bleu clair neuf avec des jarretelles. Ce détail a son importance, si Pinotti va voir des dames !
Les jours suivants, on croit voir un peu partout le malfaiteur décrit comme un homme particulièrement dangereux. À Châteaulin, il aurait bu dans un café deux verres de rhum avant de prendre un billet pour se rendre en autocar à Brest, mais il serait descendu à Pont-de-Buis. Plus tard, la piste de son passage à Landerneau est vite abandonnée. Un pauvre homme qui ne demandait rien à personne n’en revient pas encore. Certes son signalement correspondait vaguement à celui du repris de justice, certes il était nerveux et inquiet, mais c’était un bon Français !
Le bandit dénoncé à Hanvec n’est qu’un pauvre cheminot qui sort de prison et qui va chercher du travail à Brest. Les gendarmes, sans doute furieux de s’être dérangés pour rien, le mettent en prison pour délit de vagabondage. La Dépêche de Brest écrit que de braves gens éprouvent une sainte frousse de le rencontrer au tournant d’un chemin ou au coin d’une rue. Des mauvais plaisants font courir le bruit qu’il a été vu à tel endroit et qu’il semble très méchant. La psychose s’empare de la région tandis que Pinotti court toujours.
Très inspiré par l’affaire, le journaliste Louis Tual commet un poème aux rimes riches. Jugez plutôt :
L’autre jour à Quimper/ de la prison, horrible turne/ ce fut l’évasion nocturne/ du redouté Giovanni/ Pinotti qui n’a pas fini/ de donner du fil à retordre/ à tous les défenseurs de l’ordre/ Le sujet de Mussolini/ file, tel le macaroni/ et c’est tout naturel en somme/ quand les gardiens faisaient un somme/ Depuis lors, on le voit partout/ Il se nippe avec un certain goût/ car, grâce à son banquier tout proche/ il a de l’argent dans sa poche.
Je vous épargne la suite et pendant ce temps, Pinotti court toujours. Il a sans doute quitté le département.
En mai 1938, qui se souvient encore de ce triste sire ? Il est de nouveau question de lui lorsqu’un pêcheur de palourdes déterre un squelette dans la baie de Kérogan. Pinotti, sautant à l’eau, se serait noyé et son corps aurait dérivé dans l’Odet. S’il apprend sa « réapparition » le bandit doit bien rire, car il est bien loin, peut-être même déjà à Paris.
C’est en effet dans la capitale qu’il est arrêté début novembre 1938.
Les inspecteurs, étonnés par le train de vie d’un Italien qui ne semble pas travailler, l’appréhendent non sans mal. Il dit s’appeler Giovanni Parolli (au tribunal de Quimper il a prétendu se nommer Pinotti), quatre fois condamné pour vol, cambriolage et voies de faits sur agent, et la dernière fois à Quimper en juillet 1937 à cinq ans de prison et vingt ans d’interdiction de séjour.
Le matériel retrouvé dans sa chambre est digne d’un grand professionnel. Sans doute heureux de raconter ses exploits en la matière, il avoue sans trop de difficultés être l’auteur de deux forfaits pas résolus et qui ont fait beaucoup parler.
En mars 1936, passant par une fenêtre mal fermée, il cambriole le château de la duchesse Anne à Dinan et s’empare de pièces de monnaie anciennes revendues deux cent mille francs. Jamais rassasié, en mars 1937, il entre de nuit dans le musée de la France d’Outre-Mer dans le bois de Vincennes et y dérobe le trésor royal du Cambodge et les bijoux du roi Ahmadou.
Avec de telles splendeurs dans sa chambre, il est certain qu’il n’a guère apprécié le dépouillement de la cellule de Mesgloaguen. On le comprend !
Pierrick

Quelques-uns des bijoux du roi Ahmadou
La semaine dernière j'ai parlé de Pieds Nickelés, aujourd'hui je parlerais volontiers de Rocambole.
Quoi qu'il en soit merci Pierrick pour ce récit savoureux, haut en couleurs. Tellement plaisant à lire, on en redemande...
Un vrai roman policier !! Ce serait un excellent scénario pour un film !
Bravo Pierrick