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Bien aimée Marie-Anne


J’ai écrit en 2021 un petit livre qui est aujourd’hui épuisé.

Dans Bien aimée Marie-Anne, je raconte la vie d’un couple de cultivateurs aisés de Penhars (commune englobée aujourd’hui dans le grand Quimper).

J’ai sous-titré le livre : Une histoire d’amour en Cornouaille au XIXe siècle, car j’ai retrouvé un jour un vrai trésor dans un tiroir de la maison familiale  : neuf lettres écrites en 1863 par Louis-René Thomas, mon arrière-grand-père, à Marie-Anne Cosmao, sa future épouse.


Sur des feuilles ornées de motifs floraux peints à la main et à chaque fois différents, mon ancêtre, d’une belle écriture et dans un style très académique, correspond avec l’élue de son cœur qu’il nomme tout d’abord Mademoiselle avant de l’appeler Bien aimée Marie-Anne.




Ces lettres fourmillent de détails, souvent savoureux, sur la manière de vivre, de penser et d’aimer en Cornouaille, au milieu du XIXe siècle.

Je me propose d’y consacrer deux articles, et pour cela, qui de mieux placé pour vous en parler que Louis-René, leur auteur.


Première rencontre amoureuse

Le samedi 7 mars 1863, je me suis assis à une table du café tenu par Catherine Jaffron, au 1er étage du 26 de la rue du Chapeau rouge à Quimper. J’avais revêtu un beau chupen (veste) et un jilleten (gilet) brodé. Rendu avec mes deux domestiques sur la place du marché aux bestiaux, j’ai bien vu les regards narquois des autres paysans devant leur collègue endimanché, mais qu’importe.


J’avais rendez-vous avec celle qui, je le savais, allait être ma femme. Dès que nos regards se sont croisés aux obsèques de Marie-Renée Hamon, fauchée par l’Ankou à 18 ans, j’ai su que ce serait elle. Nous nous sommes revus à l’occasion de deux mariages et j’ai eu l’impression que je ne lui étais pas indifférent.     


Après bien des hésitations, je me suis décidé au début du mois de février à lui adresser un mot de billet par l’intermédiaire d’un ami commun qui ne tarissait pas d’éloges sur cette jeune fille avenante et sérieuse. Certes, la ferme de son père à Plogonnec était moins grande que la nôtre, mais quelle importance ! Dans mon message, j’ai osé lui déclarer mes tendres sentiments à son égard et lui proposer un rendez-vous à l’issue du marché.


Au marché, les autres ont été fort surpris que je n’aille pas, comme d’habitude, boire un dernier verre en leur compagnie pour fêter nos ventes, mais je me devais d’être impeccable. Soudain dans le café, elle est apparue, et comme par magie, le vacarme cessant, tous les regards se sont tournés vers cette jeune et jolie femme. Malgré sa tenue toute simple, elle resplendissait et j’en ai été fort troublé.


Après avoir échangé quelques banalités, parlé de notre scolarité et de nos parents, nous avons convenu de nous écrire souvent, à défaut de nous rencontrer aussi fréquemment que nous l’aurions désiré. Notre amour naissant devant rester caché, mes lettres lui parviendraient chez une amie au bourg de Plogonnec et les siennes devraient indiquer sur l’enveloppe Louis-René Thomas fils, précaution prise pour que mon père qui s’appelle aussi Louis-René ne les ouvre pas.  Si notre secret était dévoilé, ce ne serait pas un malheur, mais une contrariété. Bien trop rapidement à mon goût, Marie-Anne a quitté le débit de boissons, devant retrouver sa servante et rentrer à Plogonnec.


Ma première lettre d’amour

 

Cela fait deux jours que nous nous sommes vus à Quimper et, seul dans ma chambre située à l’étage de notre ferme de Kerviel, devant une feuille blanche, je ne sais trop quoi lui écrire. Je dois lui montrer que je suis sans arrière-pensée et que je suis aussi franc que possible. Mes phrases sont compliquées et trop longues, mais c’est la première fois que j’écris une lettre d’amour. En conclusion, je lui demande de fixer le lieu, le jour et l’heure de notre prochain entretien et je signe : Je suis avec le plus profond respect votre prétendant.


Entre deux lettres, nous nous sommes revus dans le même café, ainsi qu’à la foire de Quéménéven. Dans ma missive du 17 mars, je l’ai remerciée pour la promptitude mise à m’adresser cette bien désirée réponse et j’ai osé terminer ainsi : Je termine cette causerie en vous priant d’agréer les salutations de votre respectueux prétendant.


Le 22 mars, mon père, étant rentré en zigzagant du marché, m’a raconté d’une voix pâteuse sa rencontre dans un café quimpérois avec Hervé Cosmao et sa fille Marie-Anne. Il m’a demandé avec insistance si je la connaissais. Dans son état, il n’a pas remarqué mon trouble et j’ai bégayé l’avoir vue quelquefois au marché. J’ai aussitôt écrit :  Si nos parents se mettent dans l’idée que nous serions bien ensemble, nous n’aurons pas besoin de demander leur consentement[1]. Nous ferons seulement semblant de céder à leur volonté.



 

Le 1er avril, nos parents se sont rencontrés à Kerviel. Mon père a voulu jouer au grand propriétaire terrien en montrant son domaine. Puis devant une bonne bouteille, il a invité Hervé Cosmao à discuter de notre avenir. Ce fut une vraie discussion de maquignons sur un champ de foire. Le père Thomas ne voulait pas céder toute sa ferme et mon futur beau-père s’interrogeait également. Ils vont devoir trouver un terrain d’entente car, comme je l’ai écrit à Marie-Anne : Nous ne serons réellement chez nous que lorsque nous serons seuls maîtres.


Avant que les compères n’aient entamé la seconde bouteille, je dois vous entretenir de mon géniteur. En 1853, le préfet l’a nommé maire de Penhars, malgré son intempérance connue de tous. Mais rares étaient les citoyens sachant lire, écrire et parler le français. Dès 1860, en raison de ses frasques, il a été révoqué pour incompétence et ivrognerie. La honte pour la famille ! Gustave Briot de la Mallerie, le nouveau maire, a souhaité me prendre comme adjoint, mais mon père s’y est opposé. Imaginez ma déception !


Dans mes courriers à Marie-Anne, je ne dois pas paraître trop intéressé, mais sans biens matériels, nous ne connaîtrons pas le bonheur. Mon père finira bien par céder, quitte à moi de dédommager ma sœur. Après avoir fait des compliments sur son père, un homme franc, sachant se maîtriser et s’abstenant de boire à en perdre la raison, je demande à Marie-Anne de le pousser à donner la ferme de Quillien à sa fille unique. Nous pourrons le laisser seul occupant pendant deux ou trois ans, avant de louer la tenue et de lui donner la jouissance d’une maisonnette pour lui et sa mère. J’ai oublié de préciser qu’il est veuf. Ne suis-je pas allé trop loin ? Il me faut adoucir mon propos et j’ajoute : Je puis voir, sans inquiétude Quillien partagé, mais il n’en est pas de même de votre cœur que je désire posséder en entier.


Je suis assez content de cette comparaison qui, je l’espère, ne va pas l’offenser, car je suis convaincu que vous m’aimez réellement comme je vous aime.




Hervé Cosmao nous a conviés à Plogonnec aujourd’hui huit avril et j’appréhende cette visite entre nos parents. Phénomène exceptionnel, mon père a mis un bragou (pantalon) presque neuf et ma mère arbore une belle coiffe brodée. Je me suis contenté d’acheter un chapeau de feutre à larges bords, orné d’un ruban de velours.


La semaine prochaine, je vous raconterai cette rencontre au sommet.

 


 

Pierrick


[1] La majorité matrimoniale était fixée à 25 ans pour l’homme et à 21 ans pour la femme. les futurs époux ayant la majorité matrimoniale devaient néanmoins demander l’accord parental au moyen d’un acte dit respectueux, devant notaire.



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6 Comments


Jean-marie Misslen
Jean-marie Misslen
Nov 10, 2024

J'ai le plaisir de posséder ce livre de Pierrick Chuto. Ces lettres sont un régal, au regard du fonctionnement actuel des relations amoureuses. La délicatesse de Louis-René dans son expression témoigne d'une belle sensibilité, qui contraste avec le contexte de fond un peu "maquignon" entre parents des prétendants. Ce recueil de lettres d'amour aux parfums surannés est un superbe témoignage de mœurs un peu révolues. On imagine mal sur les réseaux sociaux ou sites de rencontre actuels, quelqu'un dire: (...) "votre tout dévoué et respectueux prétendant"... à lire ou à offrir...

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Anne Marie Joncour Guinebault
Anne Marie Joncour Guinebault
Nov 08, 2024

Belle histoire !

Hâte de connaître la suite !

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nogrel.charlie
Nov 08, 2024

Quelle bonne idée que de publier ici des extraits de cette correspondance tendre et tellement sincère.

J'avais, moi aussi, acquis ce très joli petit livre pour l'offrir à mon épouse... qui l'a adoré !

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Magdeleine Fougeray Le Brun
Magdeleine Fougeray Le Brun
Nov 08, 2024

Cet ouvrage est un petit bijou ! Merci d'avoir su présenter à tous ce trésor constitué par les 9 lettres et de l'avoir partagé dans ce petit livre. Je l'ai et l'ai également offert. A quand une réédition?

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Magdeleine Fougeray Le Brun
Magdeleine Fougeray Le Brun
Nov 15, 2024
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Hélas ! Je garde donc d'autant plus précieusement ce joli fascicule. En vous remerciant pour avoir pérenniser cet émouvant échange épistolaire.

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