Dans l’article publié la semaine dernière, je vous ai raconté les événements survenus à l’école communale de Sainte-Marine (Combrit), le 11 mai 1924, journée d’élection législative. C’était la version du chanoine Cornou, directeur du "Progrès du Finistère", journal catholique de combat, que certains qualifient de réactionnaire.
Aujourd’hui, voici les faits racontés par le radical-socialiste Georges Le Bail, directeur du "Citoyen", hebdomadaire anticlérical. Ils diffèrent quelque peu. Étonnant, n’est-ce pas ?
Le cadre idyllique de la chapelle de Sainte-Marine.
Qui ira s’y confesser après les événements ?
Après avoir lu les accusations suspectes de Cornou, Le Bail se rend le dimanche suivant sur le port de Sainte-Marine. Il y voit des groupes de marins qui devisent tranquillement. Est-il possible que ces vieux loups de mer aux yeux clairs et francs et à l’allure timide aient pu se transformer le 11 mai en brutes féroces et aveugles ? Après s’être entretenu avec eux de la pluie et du beau temps (préliminaire ô combien indispensable), on passe aux choses sérieuses. Et ce qu’il apprend dépasse l’entendement selon lui. Jugez plutôt !
Le 10 mai, veille du scrutin, le secrétaire de l’Abri du marin, œuvre théoriquement apolitique, est passé au domicile de tous les pêcheurs, leur conseillant fermement de voter dans leur intérêt pour la liste de Paul Simon et de ses colistiers, candidats de droite. Dans le même temps, les locataires des hobereaux du coin ont reçu la visite d’un mystérieux agent qui, en substance, leur a fait comprendre que, s’ils votaient « mal », ils seraient contraints à la saint Michel (29 septembre) de chercher un autre fermage.
Ce n’est pas tout ! Tous ces braves gens ont reçu une enveloppe qui aurait dû contenir les bulletins des cinq listes, mais, curieusement, il n’y avait dans le pli postal qu’un seul bulletin, le bon évidemment, ironise Le Bail.
Le 11 mai, les marins qui viennent accomplir leur devoir de citoyens, trouvent dans la salle de vote une quinzaine de fermiers, des espions réquisitionnés par les propriétaires bien-pensants. Les pêcheurs se sentent épiés par des yeux inquisiteurs jusque dans l’isoloir dont le rideau se ferme mal. Provocation ?
Heureusement, le recteur ne se tient pas près de l’urne comme cela est fréquent dans d’autres communes. Pendant l’office divin, il a sans doute évoqué les bulletins lus deux fois, la première lors du dépouillement et la seconde au ciel, le jour du jugement dernier. Mais, se rendant rarement à la messe, les marins ne croient plus guère à l’Enfer. En colère, ils quittent la salle et vont se réfugier dans les débits voisins.
Malheureusement, des pluies diluviennes les empêchent d’en sortir pendant toute l’après-midi. Le Bail reconnaît que ses électeurs boivent un coup, puis un autre, de sorte qu’à six heures, c’est un peu gris qu’ils retournent dans la salle, bien décidés à montrer aux Blancs qu’ils ne sont pas des petits enfants que l’on mène à la baguette.
La trentaine de cléricaux, à qui l’on a offert un repas copieux, voient d’un mauvais œil arriver ces gêneurs avinés. Voulant monopoliser une des tables de dépouillement, ils leur crient Hé ! les marins, fichez-nous la paix où l’on vous flanque dehors. C’en est trop et les poings entrent en action. Selon Le Bail, chacun en prend pour son grade, mais, contrairement aux dires de Cornou, ce sont les Blancs qui, houspillés, boxés d’importance, battent en retraite et le combat cesse, faute de combattants.
"Le Citoyen" fait l’impasse sur les Bigoudènes qui, selon le chanoine, seraient venues chercher leurs hommes pour les ramener à la maison. Était-ce une invention ?
Le lendemain, Le Bail et Bouilloux-Laffont ayant été réélus députés, ce dernier se rend à Sainte-Marine et remercie ses électeurs en les régalant. C’est, d’après Le Bail, la seule fois où un candidat de la liste de gauche a payé à boire aux marins-pêcheurs.
Le bac à vapeur ici à la cale de Sainte-Marine.
Il faisait la traversée entre les deux rives de l’Odet.
Maurice Bouilloux-Laffont, maire de Bénodet, l’a sans doute pris pour venir "régaler" ses partisans.
Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Toujours selon Le Bail, lorsque, à l’issue du dépouillement, un marin-pêcheur, conseiller municipal, vient apporter au bourg de Combrit les résultats du bureau de Sainte-Marine, le recteur Pedel et son vicaire Hanras sont excités. Ils ont même crié à plusieurs reprises Vive l’armée. Le vicaire et le pêcheur échangent des mots aigres-doux, le ton monte et le prêtre donne au marin deux gifles retentissantes. Ce dernier, taillé en hercule, saisit son adversaire en soutane, le force à s’agenouiller et à lui demander pardon.
Vous avez maintenant connaissance des deux versions. Il est bien difficile de savoir qui, du chanoine ou du politicien, a le plus exagéré. Aucun des deux n’ayant été témoin oculaire, ils se sont fiés aux déclarations sans nuances de leurs partisans et ils en ont sans doute rajouté.
Ces événements se sont déroulés il y a cent ans. Heureusement, Dieu merci, les mœurs électorales se sont pacifiées depuis …
PS : Si le canton de Pont-l’Abbé a davantage voté pour la liste du Bloc national (coalition de la droite et du centre), à l’échelon de la France, le cartel des gauches l’a emporté, renversant le gouvernement en place et contraignant le président Millerand à démissionner.
Le lavoir de Sainte-Marine
où a été sûrement commentée abondamment cette journée du 11 mai 1924
Pierrick
Le ciel nous préserve de tels excès lors de nos prochains scrutins!
Nos ancêtres ne donnaient pas toujours dans la dentelle !
Il est vrai qu'avec des meneurs tels que Le Bail ou Mgr Duparc...
Je n'ose imaginer ce que la présence des réseaux sociaux déclencherait aujourd'hui devant un évènement comme celui-ci !
Merci Pierrick de nous l'avoir si bien restitué dans son contexte...
Effectivement ; On retrouve, dans chaque camp, exagérations et "légères" interprétations : il le faut bien pour convaincre !
Mais la dernière photo m'intrigue : Que tient, dans chaque main, la femme qui remonte l'escalier, au premier plan ? En outre, N'y a -t-il qu'un bassin, qui fait à la fois lavoir et rinçoir ? Où les femmes s'agenouillent-elles ? n'y a t-il pas de pierre à laver, large et plus haute vers la laveuse et son carrosse que vers le bassin, pour laver en limitant l'auto-arrosage ? Je vois une femme qui semble rincer une pièce de linge, debout sur une marche du second escalier... Aïe le dos !
En Franche-Comté, c'est un maire facétieux qui m'a dit que,…