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1874 : Un président monarchiste chez les républicains quimpérois



Aujourd'hui, j'ai choisi de vous parler d'un président bien oublié : Patrice de Mac Mahon. C'est lui qui, en 1875, visitant des villages dévastés par la crue de la Garonne, a dit : Que d'eau, que d'eau. Le sous-préfet lui aurait répondu: Et encore, vous n'en voyez que le dessus. Auparavant, le maréchal de Mac Mahon est venu à Quimper.


C’est dans un hall décoré avec goût par la Compagnie des chemins de fer d’Orléans que le maréchal de Mac Mahon, duc de Magenta, arrive le samedi 22 août 1874 en gare de Quimper. L’homme, président de la République française depuis un peu plus d’un an, porte beau dans son uniforme. Âgé de soixante-six ans, ce seizième d’une famille de dix-sept enfants a un passé militaire qui plaide en sa faveur.




Courageux, proche de ses soldats, que ce soit entre autres exploits pendant la guerre de Crimée et son fameux j’y suis, j’y reste, ou blessé et fait prisonnier à Sedan lors de la guerre franco-prussienne de 1870, il est également connu pour avoir maté l’insurrection de la Commune de Paris. Et aujourd’hui, ce monarchiste, réputé pour sa piété, son honnêteté et son sens du devoir, est à la tête d’un peuple qui se veut républicain.


Depuis qu’il a quitté Paris pour ce voyage officiel en Bretagne, l’accueil, quoique courtois, n’est guère enthousiaste. Le pays est dans une période indécise et troublée, l’assemblée nationale étant divisée entre légitimistes, orléanistes, bonapartistes et républicains. La constitution n’est pas encore votée, mais élu pour sept ans, Mac Mahon déclare qu’il fera respecter l’ordre légalement établi et qu’il se place au-dessus des partis. Cependant, soutenu par le duc de Broglie, président du conseil, il impose des mesures dites d’ordre moral. Cette politique ultra-religieuse fait tousser les républicains comme Léon Gambetta. Entre autres mesures, l’administration subit une épuration, les établissements de boissons sont surveillés, les enterrements civils interdits et des bustes de Marianne retirés dans certaines mairies.


Pour se rendre de la gare à la préfecture, le président emprunte le boulevard de l’Odet qui longe la rivière. Il ignore sans doute que c’est grâce aux largesses de Napoléon III en visite à Quimper en 1858, que cette voie a pu être construite. Pour le remercier, la municipalité l’a appelée Quai Napoléon, mais s’est empressée de la débaptiser après la chute de l’Empire. Le peuple est versatile, monsieur le président, et ce ne sont pas les quelques acclamations des rares badauds sur votre passage qui doivent vous faire penser le contraire. Pourtant, il devrait y avoir du monde, car c’est jour de marché aujourd’hui à Quimper et les campagnards des communes voisines sont présents en nombre sur les places et dans les débits de boissons.


Joseph Astor, un maire qui passe pour être un farouche républicain, a sans doute jugé qu’il ne fallait pas gaspiller l’argent public en multipliant les mâts pavoisés et autres arcs de triomphe. Un seul est dressé à l’entrée du Parc avec écrit en lettres d’or : Vive le président.


À la cathédrale, l’accueil de Monseigneur Nouvel de la Flèche est plus cordial, mais à peine le président a-t-il le temps de faire le tour de la nef, qu’il lui faut déjà reprendre sa course folle à travers Quimper : le musée nouvellement créé, l’hospice et l’asile d’aliénés, la caserne d’infanterie, puis l’école normale, sont honorés de sa visite.


C’est ensuite le temps des discours lénifiants à la préfecture. Monsieur de la Hubaudière, président du tribunal de commerce, fait cependant des vœux pour que le gouvernement soit enfin solidement établi, car pour la reprise des affaires, la France a besoin d’un lendemain.


Lors de cette visite au pas de course, le président n’a pas eu de contact avec les forces vives du pays. Comme l’écrit le journal républicain "Le Finistère", si le maréchal veut sortir du monde officiel, il saura que la France souffre chaque jour plus profondément de l’incroyable situation à laquelle la voue depuis dix-huit mois une assemblée hostile au pays. Sinon, son voyage sera une dépense inutile. Il pourrait se contenter de lire les rapports préfectoraux qui assurent que les Français sont heureux et que tout va pour le mieux.


Pendant le repas, le maire demande au président d’acquérir pour le musée une œuvre du peintre Yan’Dargent intitulé "Le travail". Il ferait pendant au tableau "L’Intempérance" du même artiste. Le maréchal accepte, mais le ministre refuse en raison d’une situation financière dégradée qui ne permet pas de faire de nouvelles acquisitions. Le maire Astor le regrette, car ce tableau, dit-il, aurait rappelé aux Quimpérois le souvenir du passage présidentiel.


L'Intempérance . Yan'Dargent. Musée des Beaux-Arts de Quimper


De nombreux Cornouaillais se souviendront cependant du maréchal, car en début d’après-midi, l’affluence est plus importante que le matin. C’est à cheval que le président assiste sur le champ de bataille au défilé de la garnison du 118e régiment d’infanterie, de la compagnie des sapeurs-pompiers et de la gendarmerie. Tout cela se déroule dans le plus grand silence, juste troublé par quelques gendarmes qui, en défilant, crient Vive le maréchal.


Ragaillardi, Mac Mahon remonte dans sa voiture pour se rendre à Locmaria où il visite l’église romane et les deux faïenceries. Ce sont les seuls établissements industriels présentables en ville, la papeterie d’Odet étant trop éloignée pour figurer au programme.


À trois heures, les cloches annoncent le départ du président pour Lorient. Alors qu’à la gare, le cortège officiel prend congé de cet hôte de marque, quelques timides Vive Mac Mahon se font entendre.


Le rédacteur du "Finistère", peu enthousiasmé par cette visite présidentielle, écrit que le meilleur ornement de cette fête a été le soleil qui s’est montré généreux. Cela aurait été bien différent si, au lieu d’un chef de gouvernement provisoire, on avait eu à saluer le président d’une république constituée et définitive.


Le même journal cite en conclusion la conversation saisie entre deux habitants de la campagne au passage du maréchal :

-Tu auras beau dire, c’est une belle fête.

-Oui, ça n’est pas mal, mais c’était plus animé au comice agricole de Pouldreuzic.


Il faut attendre les 8 et 9 août 1896 pour que Quimper accueille un autre président, Félix Faure, surnommé le président Soleil en raison de son goût pour le faste et le contentement de soi. "Le Finistère" décrit à cette occasion un magnifique élan populaire et un fourmillement humain.

Un article élogieux pour un républicain, un vrai, celui-là !


Pierrick.




4 Comments


nogrel.charlie
Nov 30, 2024

Les déplacements présidentiels ne me semblent pas si différents aujourd'hui...mais je peux me tromper !

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Jean-marie Misslen
Jean-marie Misslen
Nov 24, 2024

Beau témoignage d'un autre temps. Concernant le tableau de Yan d'Argent "Le travail" appelé aussi "Le retour des champs", il se trouve aujourd'hui au Musée de Rennes. Une copie a été réalisée par l'artiste lui-même pour Quimper. Il fait partie d'un dyptique réalisé en 1970 par Yan d'Argent. Ces deux tableaux méritent d'être côte à côte dans un musée. Ils racontent par l'allégorie paysanne (de ses racines à Saint Servais dont on voit le clocher dans l'intempérance), les 2 côtés de l'existence. Solaire, joyeux et harmonieux pour "le retour des champs", et Lunaire, se dégradant, destabilisant pour "l'intempérance".

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assosaintalouarn
Nov 25, 2024
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Merci Jean-Marie. C'est pourquoi je ne l'ai pas trouvé sur le site du musée de Quimper.

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Magdeleine Fougeray Le Brun
Magdeleine Fougeray Le Brun
Nov 22, 2024

Merci pour ce rappel d'un moment où l'histoire de Quimper se mêle à l'histoire nationale. Période au sortir de l'Empire et de la guerre de 1870 où plusieurs courants de pensées s'affrontent. Mac-Mahon est également connu pour avoir dit :

“C'est vous le nègre ? c'est bien, continuez !”

Il a tenu ce mot devant un soldat de peau noire pendant une inspection de troupes. Pour la petite histoire, "nègre" désignait alors le meilleur élément d'une promotion. Ce "continuez" est un mot d'encouragement.

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