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Une histoire bancale

  • assosaintalouarn
  • 23 oct.
  • 4 min de lecture

À Briec, le dimanche 9 janvier 1898, c’est l’effervescence sur le parvis de l’église Saint-Pierre, quelques minutes avant le début de la grand-messe. Que va-t-il se passer ?


Tandis que le curé Poulhazan est encore dans la sacristie, M. Laouenan, son second vicaire, est aux aguets et, soudain, il crie Les voilà ! S’agit-il de dangereux bandits venus piller l’église, ou bien d’une expédition punitive de méchants républicains voulant en découdre avec un curé trop sectaire ?


Rien de tout cela ! Simplement, un cortège d’une centaine d’écoliers qui s’avancent vers l’église avec, à leur tête, Pierre-Marie Tydel, instituteur public, à califourchon sur un banc porté par de jeunes garçons. Combien de temps va-t-il tenir dans cette position bien instable ?


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Avant que les paris ne soient ouverts, les trois prêtres se ruent sur lui et sur les enfants. Au milieu d’une mêlée indescriptible, Tydel se retrouve à terre, son banc et d’autres sont brisés et jetés pêle-mêle dans la boue du cimetière. Affolés, de nombreux gamins s’enfuient, alors que trois d’entre eux sont légèrement blessés.


Mais comment en est-on arrivé là ?


Entre Jean-François Quéméner, l’ancien curé, et Pierre-Marie Tydel, les relations étaient apaisées. Les élèves de l’école communale de garçons assistaient à l’office du dimanche, assis sur des bancs qui leur étaient affectés. Quoi de plus normal pour une situation qui durait depuis plus de quarante ans ? 


Tout change, lorsque, nommé en 1894, Jean-Michel Poulhazan, nouveau curé, vocifère contre les méchants républicains. "Le Finistère", journal anticlérical, relate un de ses sermons. Depuis la chaire à prêcher, le curé n’hésite pas à comparer la paroisse de Briec à un beau champ de blé dans lequel il y a de très beaux épis, (mais) au milieu il s’en trouve un mauvais, un gros loup difficile à chasser. Pour ceux qui n’auraient pas compris l’attaque dirigée contre l’école laïque, cause d’après lui de la criminalité enfantine et juvénile, le curé enfonce le clou et compare les mauvais chrétiens qui continueront à envoyer leur progéniture à l’école laïque, à des têtards[1] qui fournissent parfois de longues branches, mais dont le tronc est souvent creux et pourri.


Pour protéger les jeunes âmes, Poulhazan ouvre en 1897 une école congréganiste et exerce une terreur permanente contre les mauvaises familles qui s’obstinent à préférer l’école du diable. Pour ses propos sans nuances, le curé est privé de traitement par un gouvernement qui n’en peut plus d’être ainsi critiqué.


Furieux, le curé diminue peu à peu le nombre de bancs destinés aux jeunes brebis égarées. Tydel proteste auprès de l’inspecteur d’académie. Poulhazan et ses deux vicaires auraient une attitude révoltante envers les pauvres enfants qui ne sont pas responsables de la mauvaise humeur de l’abbé. Honte à lui, écrit l’instituteur, pour cette situation humiliante pour les élèves, les familles et le corps enseignant laïque.  


Cependant, Tydel tente de parlementer. À plusieurs reprises, il implore le curé de lui donner un nombre suffisant de bancs. Celui-ci prétend que ce n’est pas de son ressort et qu’il lui faut s’adresser au conseil de fabrique[2]. C’est un gros mensonge que l’on ne peut qualifier de pieux, les fabriciens étant aux ordres du curé.


Le dimanche 18 décembre 1897, tous les bancs ont été retirés et les enfants doivent assister à l’office, debout ou à genoux. C’en est trop pour Tydel. Il fait fabriquer des bancs et demande de les entreposer en semaine dans l’église. Devant le refus du curé, Tydel écrit de nouveau à l’inspecteur d’académie. Il va passer outre, car M. Poulhazan ne doit pas continuer à traiter en vrais parias les enfants que lui et ses nombreux consorts n’ont encore pu nous arracher.


Nous revoici au matin du 9 janvier 1898. Alors que les trois enfants blessés sont reconduits chez eux, les autres écoliers, entrés dans l’église sous l’œil courroucé du curé, assistent à la messe avec calme et dignité.


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Église Saint-Pierre. Briec



"Le Finistère" parle d’un scandale unique dans les annales de ce pays et son opposant, "Le Courrier du Finistère", journal clérical, préfère attaquer Tydel, seul responsable du désordre dans la population. Les instituteurs sont-ils devenus des agents de guerre ?   


Ne pouvant laisser perdurer des affrontements aussi grotesques, monseigneur Valleau siffle la fin de la partie et ordonne à Poulhazan de restituer leurs bancs aux enfants de la communale. Celui-ci écrit à Tydel que le conseil de fabrique y consent et, le dimanche suivant, il se lamente en chaire. L’ayant convoqué, l’évêque lui a ordonné d’obéir sous peine de prononcer l’interdit sur la paroisse[3]. Pour éviter un tel malheur, j’ai dû me soumettre, quoiqu’il soit triste qu’un curé ne soit pas maître dans son église.


La querelle entre les deux hommes va se poursuivre encore longtemps et, suivant l’humeur dominicale de monsieur le curé, les bancs vont être en nombre suffisant ou non. "Le Finistère" qui, grâce à cette affaire, a trouvé un bon prétexte pour critiquer l’Église, conclut ses nombreux articles par : Quelques centaines de Poulhazan gouvernant la France ? Dieu nous protège contre un tel malheur ! 


Et pendant ce temps, à une autre échelle, l’affaire Dreyfus divise le pays. Ah ! Si Zola avait habité Briec ? Cette lamentable histoire aurait eu plus de panache !


Dernière minute : saint Pierre, patron de l’église paroissiale de Briec, m’a confié ne pas être pressé d’accueillir les deux belligérants.

 

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[1] Arbre dont on coupe les branches à 2 ou 3 mètres du sol, pour lui en faire produire d’autres, exploitées pour le chauffage et autres usages.

[2] Conseil de fabrique ou fabrique : en résumé, c’est l'ensemble des personnes chargées de la gestion des revenus affectés à l'exercice et aux besoins du culte.

[3] L’interdit est la privation des biens spirituels dans la paroisse. Plus d’offices religieux, de sépultures en terre consacrée, ni de sacrements.

 
 
 

7 commentaires


Jean-marie Misslen
Jean-marie Misslen
24 oct.

Merci Pierrick pour cette anecdote. Cette histoire illustre une fois de plus l'éternelle lutte de pouvoir entre les prêtres et les laïcs. Pour le patronyme du prêtre, Poulhazan peut vouloir dire la mare de "Hazan" (poul = trou d'eau...), et Hazan veut dire en hébreux et en anglais " Le (ministre-officiant) porte-parole de sa communauté guide les fidèles dans la prière..." un nom prédestiné en somme.

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nogrel.charlie
24 oct.

Qu'ajouter de plus ... hélas !

Et dire que 150 ans avant les multiples "histoires" de ce type survenues à la fin du 19ème siècle, la France était le pays des "Lumières " !

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Magdeleine Fougeray Le Brun
Magdeleine Fougeray Le Brun
24 oct.

L'accent breton vaut bien l'accent provençal et nos rivalités de goupillon contre écharpe tricolore celles de Don Camillo et Peppone. Merci à notre Marcel PAGNOL finistérien.

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colette.boulard
24 oct.

L'illustration en tête d'article est-elle de J.M. Misslen ? (pardon pour le patronyme écorché)

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Jean-marie Misslen
Jean-marie Misslen
24 oct.
En réponse à

Merci Pierrick 😉

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colette.boulard
24 oct.

"j’ai dû me soumettre, quoiqu’il soit triste qu’un curé ne soit pas maître dans son église" Un peu de modestie, monsieur le curé !

...où l'on constate que le goût du pouvoir et de la domination est récurent chez nombre d'hommes, ayant fait vœu de respect de hauts principes ou pas.

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