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1907.  Le Ponce Pilate de Bénodet et la poitrinaire

 


C’est avec beaucoup d’émotion qu’au dîner du 14 octobre 1907, Yves Le Dez, recteur de la paroisse de Bénodet, annonce à son vicaire, René Le Seac’h, à la carabassen (domestique) Marie Canté, et au journalier, Jean Priser, qu’ils prennent leur dernier repas ensemble.


En effet, le préfet Ramonet, l’homme noir, exécuteur des basses œuvres gouvernementales, applique avec rigueur la loi de décembre 1905 sur la séparation des Églises et de l’État. Si la paroisse ne peut s’acquitter d’un loyer exorbitant, les presbytères doivent être évacués et cela se passe généralement sans ménagement.



Vu de Sainte-Marine, Bénodet paraît bien calme. Et pourtant, le bourg va s'animer le 15 octobre 1907

Le 15 octobre, dès huit heures du matin, le commissaire Rouquier, assisté de cinquante gendarmes, encercle la maison. Comme il serait vain d’opposer la moindre résistance devant un tel déploiement de forces, les quatre occupants quittent au plus vite les lieux après avoir remis les clefs. Dans la foule des paroissiens qui manifestent leur mécontentement, se trouve un petit bonhomme très énervé. Il se nomme Auguste Chuto et il vient de Penhars. Ancien petit séminariste, l’homme est de tous les combats contre les Républicains francs-maçons et leur politique anticléricale.


Le commissaire cherche désespérément Noël Nédélec, maire républicain de Bénodet. Celui-ci est introuvable, blotti comme un lièvre en son gîte, se moque "L’Indépendant du Sud-Finistère", journal clérical, on l’aura compris ! Enfin débusqué, l’homme se fait remettre les clés et, sous les huées, se dirige avec hâte vers son domicile.


C’est alors que surgit d’une maison modeste la jeune Marie Cabellan. Depuis dix ans, atteinte de tuberculose, elle agonise, écrit le journal. La poitrinaire, aux yeux agrandis par la fièvre, trouve cependant la force de se précipiter vers le maire, qualifié de Ponce Pilate de Bénodet et de lui souffleter les joues rubicondes. Imaginez le bonheur chez les nombreux opposants politiques de celui-ci.


Pour parfaire le tableau, le journaliste écrit qu’il pleut et comme cela ne suffit sans doute pas à attendrir le lecteur, il ajoute que la pluie est glaciale. Alors que la malheureuse est arrêtée, le maire fuit sous les quolibets. À bas le maire ! À l’eau ! À l’eau !


C’est la deuxième fois que l’homme subit les attaques de la gent féminine. En décembre 1906, à soixante-neuf ans, il a épousé Anne-Marie Le Lay, trente-neuf ans. La différence d’âge peut surprendre, d’autant que la nouvelle épouse est sa nièce. Les deux veufs ont cru filer le parfait amour ou partager leur solitude, mais plutôt que d’atteindre le septième ciel, ils ont très vite plongé en enfer et la mariée a fini par gifler son mari et oncle. Scandale ! La nouvelle ayant vite fait le tour du bourg, les Bénodétois ont ri de bon cœur. Imaginez le tableau !

Cet édile, deux fois souffleté par des mains féminines, n’est évidemment pas digne d’être réélu aux élections de 1908.


Mais revenons devant le presbytère. Malgré les efforts du couple Dauchez, la jeune femme, épuisée par son action d’éclat, est traînée dans une voiture et conduite à Fouesnant, puis à Concarneau. On décide enfin de la mener à Quimper devant le procureur de la République. Comme elle est trop faible pour monter les marches du palais de justice, il faut la porter.


Son état apitoie sans doute le magistrat qui la rend presque inanimée à sa mère. J’ajoute à sa pauvre mère pour rester dans le ton mélodramatique.


À Penhars, quelques jours plus tard, Auguste Chuto ne trouve rien à redire aux articles du "Courrier du Finistère" et de "L'indépendant du Sud-Finistère" relatant l’expulsion des prêtres et le calvaire de la pauvre Marie Cabellan. Selon lui, les journalistes ont fidèlement raconté ces évènements dramatiques. Par contre, la lecture du journal républicain et anticlérical "Le Finistère" le met hors de lui. La jeune femme, prétendument phtisique, se serait jetée sur le maire et lui aurait porté des coups violents au visage. Le journal se moque ensuite de la façon jésuitique dont les journaux réactionnaires ont travesti audacieusement les faits les plus patents.


Lorsque Auguste lit que la presse cléricale a osé faire des allusions d’un goût douteux sur la vie privée du maire, il jette de rage le journal. C'en est trop !


Comme il est bien hasardeux de nos jours de savoir ce qui s’est réellement passé, les journaux de cette époque étant souvent outranciers, je me contenterai de vous raconter ce qui est arrivé ensuite.


Dès 1908, la séparation de corps et de biens a été actée chez le couple Nédélec-Le Lay. Aux élections municipales du mois de mai où, toute honte bue, notre homme s’est représenté, il n’a même pas été élu au conseil et c’est Joseph Sautejeau qui a pris son fauteuil à la mairie.


Si notre jeune poitrinaire avait eu le droit de vote, elle aurait sans doute barré de rage le nom de Nédélec. À l’audience correctionnelle du 9 décembre 1907, en son absence pour état de santé précaire, Marie Cabellan a été condamnée à deux mois de prison avec sursis, son acte ayant été brutal et reconnu.


Yves Le Dez, recteur expulsé et parti à Pouldergat, a été remplacé par Yves Laviec, mais je ne sais où celui-ci fut logé.  


Le préfet Ramonet a été muté quelques jours après les expulsions des presbytères du département. "L’Indépendant du Sud-Finistère" a titré avec malice : L’expulseur expulsé. Tel est congédié un larbin ayant cessé de plaire.

Dans les Hautes-Alpes, sa nouvelle affectation, à défaut de curés, il pourra s’offrir le plaisir d’expulser des ours.

Mais y avait-il encore des ours en 1907 dans nos montagnes ?


Après recherches, Marie Cabellan se prénommait en fait Marguerite Émilie, née à Pleuven le 8 février 1877 et décédée le 10 octobre 1947 à Quimper. La poitrinaire a donc a vécu 70 ans.

Bénodet. Procession dans les années 1950. Le presbytère, au fond à gauche sur la photo, se trouve dans une impasse qui donne avenue de l'Odet (document obligeamment prêté par Renan Clorennec).

Le blog va faire une pause pendant les fêtes de fin d'année et, en 2025, je publierai des articles deux fois par mois, le rythme hebdomadaire étant trop contraignant.

Certains articles, écrits à l'ouverture de ce blog, ont été peu lus. Ils vous attendent.

Pierrick



 

11 Comments


patrickmahez44
il y a 3 jours

Meilleurs voeux à vous ainsi qu'a vos proches , merci pour ces excellents récits .Bonne continuation dans vos futurs travaux .Cordialement .

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chuto.satine
Dec 29, 2024

De belles découvertes au fur et à mesure des semaines. Merci pour cette écriture soignée et le temps que vous consacrez à votre blog. En ayant hâte de lire votre prochain article !

Edited
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nogrel.charlie
Dec 25, 2024

Pas de doute, je serai au rendez-vous du prochain article ! Merci Pierrick et continuez toujours avec la même bonne humeur !

Joyeuses fêtes à vous et vos proches !

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Marie-Eve VERGOZ
Marie-Eve VERGOZ
Dec 22, 2024

Merci pour tous vos écrits - passez de très bonnes fêtes - nous avons hâte de retrouver vos récits toujours passionnants - merci et encore bonnes fêtes

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jb_brunerie
Dec 22, 2024

Intéressant et bien écrit. Merci cousin !

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