Un caractère difficile
Au n° 57 de la rue Neuve à Quimper, habite en 1903 un perruquier du nom d'Achille Cam (ex-enfant trouvé, exposé au tour de l’hospice de Quimper le 11 février 1858, à qui fut donné le patronyme de Joseph Quabos (en 1858, tous les noms donnés aux enfants trouvés à Quimper commencent par la lettre Q). Quabos, fils naturel de Marie-Jeanne Cam, est abandonné par celle-ci alors qu’il a à peine un an.
Après enquête policière, la jeune femme n’est pas inquiétée, car elle n’a pas les moyens matériels d’élever son enfant. Alors, commence pour ce garçon au caractère difficile une vie qui l’est tout autant. Pourtant Joseph, alias Achille, est un être attachant, et sa nourrice quimpéroise, Marie-Louise Le Quiniou, veuve Le Mao, souhaite le garder. Mais ne parvenant plus à se faire obéir, elle doit se résoudre à le ramener fréquemment à l’hospice où les sœurs blanches (congrégation des filles du Saint-Esprit) tentent de lui faire entendre raison avant de le reconduire chez la veuve Le Mao.
En 1874, la Supérieure de l’hospice parvient à le faire embaucher comme apprenti sans gages chez le perruquier Péron à Douarnenez. Instable et rebelle à toute autorité, Quabos change souvent de place et travaille à Audierne, puis à Quimper en 1881 où il est ouvrier-perruquier, près du pont Firmin. C’est sous son vrai nom d’Achille Cam qu’il épouse Perrine Faucon, cuisinière, en janvier 1882 à Quimper.
L'Odet. Le pont de l'évêché ou pont Sainte-Catherine (Quimper)
Le couple change fréquemment de domicile et l’homme, peut-être à la suite d’une brouille avec son patron, devient pour un temps marin. C’est cette profession qui est indiquée en 1885 quand il déclare le décès de son premier enfant, Marie-Émilie, deux ans.
Un vieillard souffreteux
En ce début d’année 1903, séparé de Perrine Faucon qui aurait demandé le divorce, Achille ne travaille plus, se livre à la boisson et ses excès alcooliques donnent à cet homme, âgé de 46 ans, l'aspect d'un vieillard souffreteux. Sa raison vacille et le malheureux, hanté par des idées noires, veut en finir avec la vie. Le mardi 3 mars au matin, il remet à une connaissance une lettre adressée à Émile-François, son fils, qui sert actuellement dans les équipages de la flotte, missive dans laquelle il lui demande pardon du chagrin qu'il va lui causer en se donnant la mort.
Après s’être enivré et avoir confié à ses compagnons de libation qu’il va se jeter dans l’Odet, il sort de l’estaminet vers 10 h 1/2. L’homme est résolu à quitter ce monde qui ne lui apporte que des désillusions. Arrivé au pont de l’Évêché, il enjambe la balustrade et se jette dans le courant. Une femme qui lave du linge au bas du pont, pousse un grand cri et, de saisissement, manque elle aussi de tomber à l'eau.
Aussitôt, la nouvelle se répand et les curieux accourent en masse le long des quais. En cette année 1903, les distractions sont si rares ! Entraîné par le courant, telle une planche de bois, le corps du perruquier file rapidement quand, de la salle de la préfecture où il travaille, M. Jan, officier de réserve, médaillé militaire, le voit passer. N’écoutant que son courage, il saute par la fenêtre, court le long du quai tout en enlevant son veston et se jette à l'eau près du pont de la Préfecture.
L’Odet. Le pont de la Préfecture (Quimper)
Bien que meurtri par son plongeon, il nage vigoureusement vers le désespéré qui vient de heurter violemment une des piles du pont. Mais, alors qu’il est sur le point de saisir le malheureux, Jan, englouti par le tourbillon, disparaît à son tour dans l’eau tumultueuse.
L'angoisse est à son comble
Parmi les spectateurs massés sur le quai, l'angoisse est à son comble, mais bientôt on voit le sauveteur qui remonte à la surface, parvient à rejoindre le perruquier et l’empoigne. Tous deux passent difficilement sous le pont de la Poste où les eaux sont encore plus déchaînées. Cam oppose une résistance si acharnée qu’à bout de force, M. Jan se voit dans l’obligation de lâcher le malheureux ou de périr avec lui. Il appelle à l'aide. En vain, jusqu’à ce qu’un jeune homme, M. Séchez, soldat au 118e régiment d’infanterie de ligne, se fraye un chemin au milieu de la foule énorme agglutinée sur le pont et les quais.
Il n’hésite pas à affronter le danger, se débarrasse de sa capote et de son képi, et plonge dans la rivière. Après avoir réussi à traverser les eaux écumantes, il arrive à hauteur des deux hommes. Il est plus que temps, car Cam et Jan vont être entraînés par les remous et roulés dans le courant, terrible à cet endroit. Grâce à l’aide du militaire, ils peuvent s'accrocher à un canot amarré et, de là, gagner l'escalier qui conduit au Champ de Bataille.
L’Odet. Le pont de la Poste (Quimper). Aujourd'hui appelé pont Pissette
Des agents de ville se précipitent, ceinturent le désespéré qui veut se rejeter dans l’Odet et le conduisent au poste. Tout naturellement, M. Jan retourne à son bureau où il est chaleureusement félicité par ses collègues. M. Séchez reçoit l’ordre de rejoindre la caserne, non sans avoir échangé des poignées de main avec plusieurs officiers, fiers de cet acte de courage accompli par un de leurs hommes.
Après avoir été examiné par le docteur Colin, Achille Cam est placé provisoirement à l’hospice. Il se débat, car il ne connaît que trop ce lieu sinistre où, enfant trouvé, il a fait de nombreux séjours par le passé. Il répète inlassablement qu’il veut en finir avec la vie et qu’il va recommencer. Cependant, les journaux locaux ne font pas état d’une autre tentative de suicide et Achille Cam, alias Joseph Quabos, décède le 1er août 1918 à… l’hospice de Quimper, soixante ans après y avoir été exposé.
Triste destinée pour cet homme à la double identité qui, face aux remous de la vie, a rapidement perdu pied !
Pierrick
L'histoire des enfants exposés dans le tour (boîte pivotante) d'un hospice est passionnante et mal connue. J'ai consacré 3 années à étudier le cas des 3816 enfants "trouvés" entre 1801 et 1861, déclarés de père et mère inconnus, affublés d'un nom parfois grotesque et mis en nourrice.
C'est la première fois qu'un livre est consacré à ce sujet pour le Finistère.
L'édition de 2019 est encore disponible.
Le livre de Pierrick Chuto sur les enfants trouvés de Quimper est absolument passionnant.
Il contient une mine d'informations sur ces destins brisés (pour l'immense majorité d'entre eux).
C'est un véritable travail d'historien !...
Merci Pierrick pour ce récit bouleversant. Je lirai ton livre sur les enfants trouvés.
Ce récit me touche, car lorsque j'étais directeur des études à Nantes dans un lycée technologique, j'ai connu une adolescente de 16 ans, en seconde, adoptée par une famille de Chateaubriant, et portant le nom de cette famille. En seconde, elle se met à se droguer et je m'en sus occupé. Son mal-être venait de ce qu'elle savait de son histoire de bébé. Née à Lyon, sans doute d'une prostituée, elle avait abandonnée, près d'une église, avec un mot, qui disait quelque chose comme ceci : " Je ne peux te garder, je t'aime, tu as 10 jours, tu es née le ...", ta maman .
BOULEVERSANT- difficile d'en dire plus que ce récit poignant et si bien écrit - merci
"cet homme (...) qui, face aux remous de la vie, a rapidement perdu pied" écrivez-vous en achevant ainsi le récit. Oh !
Trois ans pour étudier et préparer votre ouvrage sur les exposés de Créac'h-Euzen ? Pas plus, vu le résultat remarquable ? Bravo.