Dans l’article de la semaine dernière, Louis Kerné, curé-doyen de Plogastel-Saint-Germain, était en lutte avec Jean Jolivet, maire, et ses conseillers. Tout cela pour une sombre affaire de cloche financée par les habitants, puis monopolisée par le curé qui voulait, en outre, faire payer chaque sonnerie.
J’avais laissé en suspens l’étude des délibérations du conseil municipal du 28 août 1887. On y apprenait que la cloche allait être burinée pour ôter les inscriptions litigieuses et que des clés allaient être commandées par la mairie : l’une pour la porte de l’église et l’autre pour la porte du clocher.
La suite des délibérations du 28 août 1887 nous apprend que, le 14 juillet dernier, lorsque le conseiller délégué s’est rendu au presbytère pour demander de sonner les cloches en l’honneur de la fête nationale, il a rencontré les pires difficultés avec M. Rolland, vicaire. Voilà pourquoi, afin d’éviter de tels problèmes par la suite, le conseil a voté l’achat de deux clés. C’est une dépense non prévue qui, espérons-le, ne va pas grever le budget communal !
Collection Bernard Paugam
Un an plus tard, selon Louis Kerné, la situation est catastrophique dans les fermes. En effet, les foins pourrissent dans les prairies, les pommes à cidre sont tombées, les patates sont malades, les blés noirs ont été broyés par la tempête et le mauvais temps continue. Encore un été pourri et, en 1888, il ne saurait être question de réchauffement climatique !
Dans ce courrier au vicaire général, le curé ajoute : il est de toute nécessité d’ordonner des prières publiques pour dimanche prochain, les populations murmurant contre l’évêque (…) Nous tâchons de les calmer par quelques prières au prône, mais ils attendent mieux.
Ils attendent aussi les festivités du 14 juillet et qui dit fête nationale, dit sonnerie des cloches. Avec les nouvelles clés, plus de problème, pensez-vous ! Malheureusement, commandées en août 1887, elles n’ont pas encore été livrées. Le formulaire XGFDR42 a sans doute été mal rempli !
Mais, à Plogastel, on ne rit pas. Et il y a de quoi ! Le vendredi 13 juillet au soir, un conseiller se présente au presbytère pour demander la clé du clocher. Louis Kerné jubile et répond avec une parfaite mauvaise foi :
Très bien ! C’est mon intention de les faire sonner. Mais vous n’êtes pas le maire. Seriez-vous son délégué ? En ce cas, donnez-moi un petit mot de billet de lui, car qui sait si vous agissez en son nom contre sa volonté.
Le conseiller répond qu’il est du bourg et qu’il n’a pas de mot de billet signé du maire.
Ce n’est pas assez d’être du bourg, répond le curé. Le règlement dit : le maire ou son délégué. Magnanime, il accepte de demander au bedeau de sonner les cloches, mais celui-ci doit être payé pour la peine.
Désappointé, le conseiller répond que cette dépense n’est pas prévue et qu’il n’est pas envisagé de la voter à l’avenir.
Alors, dit le prêtre : pas de sonnerie. Je tiens à observer le règlement.
Sentant bien qu’il est inutile d’insister, l’élu quitte les lieux et monsieur le curé, le sourire aux lèvres, va se coucher.
Le lendemain samedi 14 juillet, l’adjoint se présente au presbytère de bon matin. Entre gens de bonne compagnie, les deux hommes échangent des paroles amicales avant d’en venir au sujet qui fâche. La situation étant toujours bloquée, l’élu va à la rencontre du bedeau qui, évidemment de mèche avec le curé, refuse de sonner sans compensation de quelque menue monnaie.
Une demi-heure plus tard, l’adjoint, furieux, se présente de nouveau chez le curé, ceint de son écharpe tricolore et escorté de deux témoins. Cette fois, plus de paroles aimables, mais une menace : Si vous ne voulez pas livrer les clés, nous allons les prendre par la force.
Par la force ! Eh bien, je répondrai à la force par la force. Le curé va prendre un revolver dans sa chambre et il le dépose sur la table sans l’armer, certain qu’il n’aura pas à s’en servir. Mais il ne faut pas rester en reste avec ces gens-ci, sous peine d’être débordé.
Déconfits, les trois hommes s’en vont, tandis que le curé fait prévenir l’évêché. Deux heures plus tard, un télégramme du vicaire général lui ordonne de faire sonner les cloches.
Louis Kerné va partir à la recherche d’un fidèle pouvant sonner, car il lui semble impossible de le demander au bedeau sans lui octroyer une rémunération. Le règlement, c’est le règlement !
Sur ces entrefaites, arrivent l’instituteur et l’adjoint, porteurs d’une dépêche du préfet. Celui-ci a été alerté par un télégramme ainsi libellé : Impossible sonner les cloches. Curé prend revolver.
Messieurs, leur ai-je dit, votre démarche est inutile. J’en ai reçu une de Monsieur le grand vicaire. Dans un instant, vous entendrez les cloches. Et qu’il n’en soit plus question.
Le curé termine sa longue missive à l’évêque ainsi : On a paru surpris de la facilité avec laquelle je tends la main et même le verre à ceux que je viens de combattre une minute auparavant. Toutefois, rien de plus simple. La question en litige, une fois tranchée, il ne reste chez moi ni aigreur, ni rancune, parce que dans toutes les luttes (et Dieu sait si j’en ai), je ne cherche pas la satisfaction de mon amour propre, mais le triomphe de la justice et de la vérité.
Les cloches ont pu enfin carillonner pour fêter le 14 juillet et les combattants ont cimenté la paix avec un verre de bière que je leur ai payé, conclut l’opiniâtre curé.
Le 15 juillet de l’année suivante, l’heure est grave. Jean Jolivet ayant démissionné, les conseillers sont réunis pour élire un nouveau maire. Et le 28 du même mois, Louis Kerné quitte la paroisse pour l’abbaye de l’île de Lerins où il séjourne plusieurs mois comme novice sous le nom de Père Gildas.L'histoire ne précise pas s'il était chargé de sonner les matines !
Les deux adversaires partis, la commune de Plogastel-Saint-Germain va-t-elle retrouver quelque sérénité ?
Pierrick
La version finistérienne de Don Camillo et Peppone
l y a quelques années, de retour en Gironde, je dus aller dans une commune du Médoc à propos de l'église, monument historique. Ce que je fis, accompagnée d'un stagiaire tout de noir vêtu, du jean au blouson et jusqu'aux très naturels cheveux et regard. Prévenu, le curé était là, en soutane, et hélas pas le maire ni son représentant. L'habit ne fait pas le moine mais, mais, tout de même, la soutane, dans les années 90, cela avait déjà une signification disons très conservatrice ! Le plus âgé des hommes a pris le plus jeune, peu souriant pour un blouson ...noir, et moi pour une vile créature de la république, une intruse, qui plus est démoniaque puisque femme. Ou…
Excellent !