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Ils n’ont pas tenu la marée = un noyé

  • assosaintalouarn
  • 9 oct.
  • 4 min de lecture

Dernière mise à jour : 22 oct.

En ce début d’année 1885, l’économie française vacille, le chômage augmente et la guerre du Tonkin provoque la chute du gouvernement de Jules Ferry. Mais les sept travailleurs quimpérois qui, ce dimanche 19 avril, écument depuis trois bonnes heures les débits de boissons et autres auberges de Bénodet, n’en ont cure. Peintres, ferblantier, plâtrier ou commerçant, ces célibataires, dont le plus jeune a 13 ans, sont partis de Quimper aux aurores sur le bateau de Joseph Kervran, le seul qui semble encore tenir la marée en sortant du débit Nédélec.


Comme il est déjà deux heures du soir, il est temps de reprendre la mer, ou plutôt la rivière Odet, et c’est là que les ennuis commencent. En embarquant, le sieur David, au pas mal assuré, tombe dans l’eau. Heureusement, il n’y a pas assez de profondeur d’eau pour lui faire perdre pied et ses camarades parviennent à le remonter sur le bateau.


Si David est tombé, le vent l’est également, et Joseph Kervran, le capitaine, décide d’affaler les voiles et de rentrer à l’aviron à Quimper. Mais c’est fatigant de ramer et des voix s’élèvent, à commencer par celle de Louis-Marie, le frère de Joseph. Que s’est-il passé ensuite ?


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À la lecture du procès-verbal établi par les gendarmes de Fouesnant, puis des interrogatoires menés par le juge d’instruction, on s’interroge. Il y a ceux qui, comme Alexandre et Victor Férec, prétendent n’avoir rien vu, celui qui ne sait plus trop qui a provoqué la bagarre, celui qui dit que ce sont les autres qui sont responsables. Responsables, mais de quoi ? :  le bateau a chaviré, les sept hommes ont fait brusquement connaissance avec une eau froide, très froide, et l’un d’eux a coulé. Victor Quéré, 17 ans, va être un mets de choix pour les poissons.  Après un tel drame, on ne rigole plus, on dessoule et vite…


Élysée Gellion, négociant à Quimper, se trouvant sur les hauteurs de l’autre rive (Sainte-Marine) témoigne : Au milieu de l’Odet, un bateau semblait avoir les plus grandes difficultés à remonter vers Quimper. Les voiles flottaient au vent et l’embarcation, semble-t-il, à la dérive, se dirigeait vers un autre bateau, au risque d’entrer en collision. Soudain, le voilier inclina d’abord à gauche, se releva, puis inclina de nouveau à droite pour sombrer ensuite à pic. Immédiatement, les marins du navire voisin se jetèrent dans leur canot pour secourir les naufragés.


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Un équipage bien plus paisible venant de Sainte-Marine et accostant à Bénodet


Sans ces hommes courageux, les Quimpérois auraient sans doute tous péri, le drame s’étant déroulé à une distance trop éloignée de Bénodet et de Sainte-Marine pour que des habitants des deux rives puissent leur venir en aide. À bord du Guillaume Tell, les trois sauveteurs habitent Audierne. Ils ont vu un petit bateau de plaisance dériver et, poussé par un courant assez fort, se diriger vers eux, avec sept individus plus ou moins ivres qui se querellaient à bord. L’un, peut-être le capitaine, a tendu brutalement une rame à un autre qui, la refusant, a répliqué par un coup de poing. Prenant parti pour l’un ou l’autre (en fait les frères Kervran Joseph et Louis-Marie), tous en sont venus aux mains et, se portant soudainement du même côté du bateau, ils l’ont fait chavirer.


Sains et saufs, après quelques longues minutes passées dans la rivière, les six rescapés rejoignent le port de Bénodet et continuent à se quereller sur la cale. Alors que les deux Kervran s’imputent réciproquement la responsabilité du naufrage et la perte du bateau, Joseph Quéré pleure son frère Victor, dont le corps gît maintenant au fond de la rivière.


Un témoin rapporte que le jeune Kervran tient encore dans la main un morceau du gilet de son frère, preuve de leur violente bagarre.


Il faut attendre le 3 mai, à 8 heures du matin, pour que Alain Sélino, marin pêcheur, découvre un cadavre flottant dans la rivière Odet. Il s’agit bien du malheureux Victor Quéré. Jean-Alain Chapalain, gendarme à pied à la résidence de Pont-l’Abbé, écrit :  Rapportons qu’ayant été informés qu’un cadavre trouvé dans la rivière avait été déposé sur la grève près de Sainte-Marine en Combrit, nous nous sommes transportés immédiatement sur les lieux. À notre arrivée, le dit cadavre venait d’être enlevé pour être transporté à Quimper par ses parents qui en avaient, nous a-t-on dit, l’autorisation de monsieur le préfet.


Les sauveteurs d’Audierne, Yves Quillivic, Jean-René Floc’h et Jean-René Coroller, n’ont été ni remerciés, ni décorés, et les six rescapés se sont sans doute bien promis de préférer la terre ferme pour leurs futures escapades dominicales.


Le juge d’instruction a prononcé un non-lieu et, dans son édition du 22 avril 1885, le journal "Le Finistère" a consacré quelques lignes à ce triste fait divers, provoqué par la bêtise humaine.


Comme l’a écrit le gendarme de Fouesnant dans son procès-verbal : Ils se sont battus sous prétexte que les uns avaient tort et que les autres avaient raisonQue rajouter à cela ?




 
 
 

6 commentaires


suzi_one
17 oct.

Histoire dramatique notamment pour le jeune Victor illustrant les effets catastrophiques d'une absorption excessive d'alcool. Combien de meurtres commis sous l'emprise de l'alcool , combien d'accidents de travail ? Je n'ose imaginer dans ces conditions les huis clos sur les hauturiers !

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nogrel.charlie
15 oct.

Cette histoire me fait penser à ces nombreux accidents de voiture qui, après des soirées bien trop arrosées, ont emporté tant de jeunes dans les années 70, tant en Bretagne qu'ailleurs...

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colette.boulard
10 oct.

Notre époque n'a pas inventé les comportements déviants et toxiques. Ce matin, dans le journal "Sud-Ouest" on apprend que cinq individus ont été arrêtés et jugés pour avoir fait du rodéo nocturne avec quatre quad très couteux (valeur estimée 100.000 €). Au bord de l'un d'eux, un homme avait sa fille de six ans. Condamnation à une peine avec sursis et véhicules saisis par la justice, qui en dispose désormais, vente ou autre. Derrière cela, alcool ou peut-être la consommation si courante et bon marché de protoxyde d'azote, le très commun gaz hilarant. En 1885 comme aujourd'hui, le comportement de ces individus est lamentable. Mais aurait-on aujourd'hui l'humour du gendarme rédigeant le compte-rendu ? Ce gendarme était-il un vôtre cousin,…

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assosaintalouarn
10 oct.
En réponse à

Non Colette, Je n'ai pas de gendarme dans ma famille. Mais je doute de l'humour du gendarme de Fouesnant.Ou alors ,c'était bien involontaire....

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Magdeleine Fougeray Le Brun
Magdeleine Fougeray Le Brun
10 oct.

Le compte-rendu du gendarme de Fouesnant est merveilleux ! Merci pour ce sourire du matin, en conclusion d'un triste fait divers.

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Michel Guironnet
Michel Guironnet
10 oct.

Toujours ta belle écriture Pierrick !

Bravo pour ce triste récit

La bêtise humaine semble sans limites.

Amitiés.

Michel

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