Alors que nous sommes appelés à choisir parmi 37 listes nos représentants au parlement européen, il m’a semblé intéressant de vous entretenir de quelques faits marquants, glanés çà et là dans mes livres.
Suffrage universel masculin
En 1848, la Seconde République instaure le suffrage universel masculin (pour vous mesdames, il faudra attendre près d’un siècle !).
À Guengat, la liste électorale passe ainsi de 115 à 284 électeurs, le plus souvent analphabètes. Le 24 avril 1848, ils doivent se rendre à Douarnenez, chef-lieu du canton, pour élire les députés du Finistère. La garde nationale veille près du bureau de vote afin que l’intimidation des consciences n’entrave pas la libre expression de la volonté solennelle du pays. Les maires et adjoints sont très sollicités pour inscrire les noms qui leur sont indiqués ou qu’ils suggèrent. Certains électeurs, à l’écriture malhabile, n’ont pas suffisamment de place pour écrire leur choix sur le bulletin découpé dans un papier épais.
Candidat officiel du gouvernement
Sous le Second Empire (Napoléon III), le préfet est chargé de faire ce qui est en son pouvoir pour que le candidat officiel du gouvernement soit élu. En 1863, selon le préfet Richard, Louis-Marie du Couédic, maire de Quimperlé, député sortant, est un homme profondément et sincèrement dévoué à l’Empereur. Une surveillance spéciale des débits de boissons doit être exercée, afin que ceux-ci ne puissent se transformer en clubs électoraux et devenir des centres de distribution de bulletins, en faveur de quelque candidat que ce soit.
Courrier de Charles Richard, préfet du Finistère, adressé en 1863 aux maires.
Archives municipales de Quimper. 1 K PEN 32
Texte du courrier : Monsieur le Maire, Pour vous épargner tout embarras dans les opérations préliminaires de l'Élection du Député, j'ai fait imprimer et je vous envoie des formules pour cartes d'Électeurs. Je vous prie de préparer avec soin des cartes pour tous les Électeurs de votre commune et de faire porter au domicile de chacun d'eux sa carte accompagnée d'un des bulletins de vote compris dans le présent envoi. Des bulletins devront, en outre, être mis à la disposition des Électeurs, à l'entrée de la salle de Scrutin. Cette dépêche vous parviendra en même temps que deux exemplaires d'un placard portant le nom du Candidat du gouvernement. Vous voudrez bien faire placer ces affiches sur les points les plus fréquentés de votre commune. Recevez, Monsieur le Maire, l'assurance de ma considération très distinguée.
Pour la stabilité et la grandeur de la patrie, le maire doit placer, dans les endroits les plus fréquentés, deux placards au nom du candidat Du Couédic, celui qui se proclame l’ami des cultivateurs. Avec quelque malice, Auguste Chuto, maire de Guengat et opposant à l’Empire, les appose dans deux cabarets. Ces élections « libres », où l’opprobre est jeté sur les candidats d’opposition, et pour lesquelles le pouvoir multiplie les pratiques d’intimidation, révoltent, une fois de plus, mon aïeul.
Un bulletin de vote lu 2 fois
Plus tard, lorsque le gouvernement n’osera plus intervenir aussi directement, l’Église continue à peser sur les votes.
Au prône du dimanche, il n’est pas rare que le prêtre, du haut de la chaire, prévienne les fidèles : votre bulletin de vote sera lu deux fois : une première fois par le maire à l’issue du scrutin, une seconde par Dieu le Père lorsque vous vous présenterez devant lui. L’enfer est-il promis au « méchant » ? Pourra-t-il communier aux prochaines Pâques ?
Ensuite, lorsque, dans une commune dite « rouge », l’électeur se présente au bureau de vote, il voit de chaque côté de l’urne le maire et le recteur. Quel va être son choix ? Auparavant, il a trainé depuis plusieurs jours dans les débits de boisson de la commune, où les candidats ont donné de l’argent à l’aubergiste pour satisfaire les gosiers des plus assoiffés.
Le jour J, soutenu par son épouse qui lui enjoint de voter comme a dit monsieur le curé, l’électeur se présente devant l’école des garçons où se déroule le vote. Souvent, dans la cour, des soutiens des candidats profitent de son absence de discernement pour lui remettre un bulletin déjà rempli et plié.
L‘isoloir, un petit coin louche
L’enveloppe et l’isoloir ne font leur apparition qu’en 1913, et ce dernier est très critiqué. En 1914, à Plozévet, commune dite rouge, on prétend qu’il n’est utilisé que par ceux qui soutiennent le candidat de droite. Ces électeurs ne sont évidemment pas honnêtes ! Que font-ils derrière le rideau ? Des enfants sont chargés d’aller soulever ce fameux rideau ! Un député radical écrit : La France doit se prononcer librement et l’isoloir ne saurait devenir un petit coin plus ou moins louche où des marchandages s’établiraient comme autrefois à l’entrée des salles de vote.
L’isoloir est mal accepté
Si cet article vous a intéressé, je vous entretiendrai une autre fois des urnes brulées, des élections annulées et d’autres joyeusetés.
N'hésitez pas à commenter
Pierrick
J'ai comme l'impression que nous n'avons pas fini d'avoir du "reuz" dans les élections dans les (proches) temps à venir.
Bien plus tristounettes les journées d'élections ces derniers temps !
Merci pour ces informations. Les magouillages de nos jours sont plus subtils mais pas pour autant disparus...
Evelyne
Merci pour tous ces précieux renseignements, et j'attendrai patiemment la suite
Claudine
Article intéressant en effet, plein d'humour et d'anecdoctes savoureuses sur le Finistère de la seconde moitié du XIXem siècle Dans les années 60 et sur d'autres rives les petits et gros "trafics" sur les bulletins électoraux et le déroulement des élections étaint plus discrets encore que...
J'ai entre autre appris grace à ce dernier article que le mot "placard" avait un sens différent d'aujourd'hui Aujourd'hui on est mis- parfois- au placard -on est placardé-mais pas nécessairment en raison d'élections qui ne tournent pas à l'avantage du candidat!
Françoise