Il ne se passe pas un jour sans que les médias n’évoquent à juste titre le calvaire enduré par des femmes battues par leurs conjoints. Le contraire est plus rare !
Cependant, laissez-moi vous raconter l’histoire vraie d’une femme qui, en 1853 à Plonéis, a battu son époux.
Le mari se nomme Jean Thomas, vingt-sept ans, cultivateur au village du Dourguen en Plonéis. En juin 1836, il a signé un contrat de mariage avec Marie-Marguerite Doucin, du village du Robart en Guengat. Non sans difficulté, car les tractations entre les parents des futurs ont été laborieuses. Mais Marie-Marguerite étant tombée malade, le mariage est reporté au mardi 23 mai 1837.
Ce jour-là, alors que les Thomas s’apprêtent à se rendre au mariage civil, ils apprennent que la fille Doucin ne veut plus se marier. On imagine la colère de Jean qui demande en justice réparation pour le préjudice moral et matériel.
C’est alors qu’intervient Auguste Chuto. Il a épousé en secondes noces Marie-Catherine Le Friant, ou plutôt sa dot, et il souhaite trouver rapidement un mari à Anne, la jeune sœur de celle-ci. Une bouche de moins à nourrir ! Jean Thomas, l’amoureux éconduit, fera l’affaire et avant que Anne, un bon parti, n’ait pu donner son avis, les bans sont publiés. Après le mariage célébré le 20 juillet 1837, la jeune femme éplorée quitte le manoir de Saint-Alouarn pour aller vivre à l’autre bout du monde à Plonéis, commune voisine !
Anne Le Friant, épouse Thomas, allait souvent prier à l'église Saint Gilles (Plonéis)
Entre deux grossesses, elle revient dès qu’elle le peut à Guengat où elle raconte son calvaire à sa mère et à sa sœur. Quand Jean a bu, ce qui lui arrive fréquemment, il est très violent et pour défendre ses quatre enfants, Anne tente de répliquer. Elle voudrait le quitter et revenir au manoir, mais Auguste, son beau-frère, s’y oppose. Selon lui, la place d’une épouse est auprès de son mari qu’elle doit tenter de raisonner.
L’irréparable se produit le jeudi 3 février 1853. Jean Thomas, accompagné de trois compagnons de beuverie, rentre au logis et beugle de lui apporter une bouteille. Excédée par l’attitude de cet homme qui la rebute, la petite femme trouve en elle des forces cachées, se rue sur le gaillard aviné, le fait trébucher et lui donne des « coups de pieds chaussés de sabots », alors qu’il est à terre. Qui sait jusqu’où elle serait allée si les trois témoins ne s’étaient interposés ?
Ils couchent Jean, mal en point, et, dès le lendemain, tout le bourg de Plonéis ne parle que de l’accès de démence de « la Thomas ». Peu la plaignent, car une femme ne doit pas se rebeller et porter la main sur son mari. La fautive est conduite à la maison de justice, située dans une partie ancienne de l’enclos des Ursulines à Quimper. Avant son procès, elle s’y morfond en compagnie de condamnés qui attendent de partir vers le bagne ou une autre prison.
Dès le 24 février, elle comparaît devant la chambre correctionnelle du tribunal de première instance de Quimper. Son conseil, maître Moallic, réclame sans succès l’indulgence des juges.
« (Elle est coupable) d’avoir volontairement porté des coups et fait des blessures à son mari à différentes reprises depuis moins de trois ans et particulièrement le 3 février courant par suite desquelles il a été obligé de garder le lit pendant plusieurs jours ».
Anne est condamnée à quatre mois d’emprisonnement. Sa mère et sa sœur sont anéanties à la sortie du palais et Auguste, le beau-frère, maire de Guengat, redoute que l’affaire ne l’éclabousse.
Le 1er mars, à son entrée à la maison d’arrêt de Mesgloaguen à Quimper, Anne porte une coeffe, un justin et un gilet en drap bleu, un tablier et une jupe en berlinge, des sabots, des bas et une chemise.
Registre écrou de la condamnée Anne Le Friant, femme Thomas (A.D.F)
Anne Le Friant, la pécheresse qui a osé défier son mari, recouvre la liberté le 1er juillet. À sa sœur effarée, elle raconte ses quatre mois de captivité à la maison d’arrêt de Mesgloaguen. La promiscuité y est éprouvante et elle a dû partager le dortoir avec des criminelles, des folles et des prostituées. Elle peut cependant s’estimer heureuse, car en 1852, des travaux de surélévation ont permis de créer un vrai quartier de femmes. Dans l’atelier géré par les sœurs blanches du Saint-Esprit, les condamnées fabriquent de la toile et de la serpillière dès six heures du matin. La seule distraction consiste à se rendre à la chapelle deux fois par jour. Anne y a beaucoup prié pour que Dieu lui donne le courage de supporter Jean Thomas à son retour au logis. Avec ses quatre enfants et sans ressources financières, elle n’a pas d’autre choix. Sa dot est bue depuis longtemps.
Auguste la ramène à Plonéis et fait la morale à Jean Thomas qui promet de moins boire et d’être un mari attentionné. Anne n’accorde aucun crédit à ses belles promesses, mais elle est toute à la joie de retrouver ses enfants, confiés pendant son absence à des voisines. Le beau-frère se dit rassuré et retourne à ses fonctions de maire.
Le couple Thomas ne fait plus parler de lui et tient vaille que vaille jusqu’à la mort d’Anne en 1874, à l’âge de cinquante-quatre ans. Son tortionnaire ne doit rendre des comptes à saint Pierre que vingt ans après. À moins que la justice, passée tardivement, ne l'ait précipité dans les flammes de l'enfer.
Sources : Archives départementales du Finistère
Le maître de Guengat. Pierrick Chuto
La terre aux sabots. Pierrick Chuto
Photos Gilbert Nihouarn et Philippe Chuto
Pierrick
Dans l’attente d'un miracle, Anne allait peut-être prier saint Yves, patron des avocats et de la Bretagne. Il était entouré du riche et du pauvre. Aujourd'hui, le riche est parti sous des cieux plus cléments et seuls restent saint Yves, moustachu, et le pauvre en loques.
Zola n'aurait pas renié cette si "vivante" description du calvaire de la pauvre Anne.
Elle aurait bien mérité une sanctification plutôt que la prison...!
Comme toujours un bel article qui comme les précédents témoigne d'un gros travail
Merci à toi et continue de nous régaler
Michel
Très belle photo de l'église Saint-Gilles.